Les lobbies et les politiques, une longue histoire plus que tumultueuse, un amour par correspondance. Le sujet est de plus en plus récurrent ces dernières années et est, dans le cas présent, mis en lumière par les mouvements écologistes. Si la place des lobbies, notamment ceux du secteur de l’agrochimie et des pesticides, est davantage débattue dans les formations de gauche comme la France Insoumise. Le débat est malheureusement relégué au second rang des préoccupations notamment à cause du nouveau conflit entre l’Ukraine et la Russie ainsi que de la récente montée des prix de produits tels que les carburants ou les produits alimentaires. Le pouvoir d’achat prend le pas sur de nombreuses autres thématiques comme la place des lobbies agrochimiques, dont les stratégies d’influence sont réputées agressives. Avant tout, demandons-nous ce qui se cache derrière ces notions de lobbys et d’agrochimie :
– Le premier se définit comme groupe de pression, c’est-à-dire une organisation regroupant des intérêts communs à des institutions ou entreprises, leur but étant de défendre leurs valeurs et intérêts auprès des décideurs politiques ;
– Les engrais chimiques sont vus comme l’une des inventions les plus révolutionnaires ayant pour but d’augmenter les rendements agricoles et nourrir une part plus grande de la population plus rapidement.
Les lobbys sont décriés car leur influence sur la démocratie n’est pas vue comme une bonne chose. Les engrais, eux, jouissent d’une réputation de plus en plus mauvaise, notamment à cause des dégâts qu’ils causent au climat, à l’environnement et à la santé. Ces groupement tentent de convaincre les pouvoirs publics qu’ils sont indispensables pour nourrir l’entièreté de l’humanité, fait de plus en plus contesté par les laboratoires et les scientifiques. Qui croire à l’heure ou la planète surchauffe et crie à l’aide ?
Dans le débat public, le terme glyphosate est celui qui crispe le plus les esprits. En 2015 l’herbicide est jugé « probablement cancérigène » par le Centre international de recherche sur le cancer, organisme qui dépend de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il est le produit phytosanitaire le plus utilisé dans le monde. L’herbicide au glyphosate, Roundup produit par le géant américain de l’agrochimie Monsanto (aujourd’hui filiale du groupe allemand Bayer) est vivement contesté. C’est en 1974 que le désherbant Roundup est commercialisé pour la première fois, ce qui marque le début de l’épopée phytosanitaire du glyphosate. À l’origine breveté par Monsanto, le glyphosate est depuis l’année 2000 entré dans le domaine public, on le retrouve dans plus de 300 désherbants produits par plus de quarante sociétés. Monsanto, leader mondial du secteur agroalimentaire a fait face à de nombreuses polémiques au cours des années non seulement sur les OGM mais également sur l’usage de son produit phare. Le désherbant au glyphosate est au coeur de la controverse, il fait polémique comme en attestent les nombreux litiges liés à l’utilisation de cet herbicide. Rien qu’aux États-Unis, on ne compte pas moins de 19.000 plaintes déposées.
Emmanuel Macron s’exprimait au sujet du glyphosate en 2017 « j’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans 3 ans ». La même année, alors que l’homologation du glyphosate touchait à sa fin, les membres de l’Union européenne à l’issue d’un vote décisif se sont prononcés en faveur d’un renouvellement de l’autorisation du glyphosate pour cinq ans. Le renouvellement de la licence soulève des enjeux de santé publique et économique pour le milieu agricole.
Dans le cadre de l’élection présidentielle des 10 et 24 avril 2022, la question de l’utilisation des pesticides et notamment du glyphosate a été posée aux candidats :
– Le Président disait récemment « cela ne marche pas si on le fait tout seul. Je ne peux pas mettre les agriculteurs dans des impasses et sans solutions » sur l’interdiction du glyphosate. Sa vision actuelle est d’interdire uniquement là où il y a des alternatives.
– Du côté des Républicains, la candidate Valérie Pécresse y est plutôt opposée : Il faut d’après eux, une véritable solution. Selon le président du département de la Corrèze « le ZéroPhyto » n’est pas réalisable. Même raisonnement chez Reconquête.
– Du côté de Marine Le Pen et Fabien Roussel, l’interdiction du glyphosate est envisagée mais à condition d’avoir des solutions alternatives ou un investissement plus fort dans la recherche sur les produits alternatifs.
– Du côté de ceux qui prônent son arrêt dans des délais brefs, nous trouvons le parti socialiste, EELV et la France Insoumise qui souhaite l’interdiction de tous les néonicotinoïdes.
Face à l’Europe, la prochaine personne à accéder à la fonction suprême devra se montrer habile quelle que soit sa position sachant que les cinq années d’autorisation du produit arrivent à expiration dans peu de temps. Une échéance primordiale pour l’avenir de ces produits dans l’univers de l’agrochimie selon les positions des concurrents.
Les six articles sélectionnés (articles profanes et universitaires), nous permettent de saisir la complexité du sujet des pesticides et la multiplicité des acteurs impliqués. Les victimes d’intoxication par les pesticides doivent mener un véritable combat judiciaire avant que leur statut ne leur soit reconnu. L’article sur l’agriculteur charentais Paul François illustre parfaitement cette idée. Même si la prise de conscience des dangers des pesticides pour la santé et l’environnement est récente (années 60), plusieurs acteurs militent depuis pour faire évoluer les choses. C’est notamment le cas des mouvements agricoles alternatifs, les associations, la société civile et certaines collectivités comme Versailles, qui essayent de trouver des solutions de substitution à l’usage des pesticides dans les espaces verts afin de limiter leurs conséquences
sur la santé des citoyens et leur offrir une meilleure qualité de vie.
Les articles profanes montrent comment la question du rôle des lobbies agro-industriels dans les politiques publiques concernées, notamment leur répertoire d’action est traité de manière évasive par la presse. Aucun des articles ne traite en profondeur des techniques d’influence utilisées par ces lobbies, ils sont seulement évoqués comme des acteurs importants. La même observation peut être faite pour les articles universitaires. Ce qui contribue à entretenir le côté obscur des lobbies qui existe déjà dans la mémoire collective. Dans un monde où la jeunesse est de plus en plus engagée pour la planète et l’environnement, mais aussi sélective de ce qui se trouve dans leurs assiettes, les pouvoirs publics n’ont d’autres choix que d’accélérer le processus de transition écologique, mettre fin à l’usage des pesticides dans le secteur agricole et non agricole en fait indéniablement partie.
Leïla MEHIMDA, Fatoumata DIALLO et Geoffroy VEYRADIER
Références
DELEAGE Estelle, « Les mouvements agricoles alternatifs », Informations sociales, 2011/2 (n° 164), p. 44-50.
GUTLEBEN Caroline, « Les politiques « Zéro pesticide » au sein des collectivités territoriales : l’innovation dans le paysage pour la santé des habitants », Environnement, Risques & Santé, 2020/2 (Vol. 19), p. 113-121.
JOUZEL Jean-Noël, PRETE Giovanni, « De l’intoxication à l’indignation. Le long parcours d’une victime des pesticides », Terrains & travaux, 2013/1 (N° 22), p. 59-76.