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La laïcité, un sujet qui divise autant qu’il passionne

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“Une société sans religion, c’est comme un navire sans boussole.”

“Une société sans religion, c’est comme un navire sans boussole.” Le propos de l’Empereur des Français lors des négociations avec monseigneur Spina sur la conclusion du régime concordataire met en exergue les préoccupations des pouvoirs publics sur les questions du rapport de la société au religieux. L’organisation du rapport de la société aux religions émerge au début du 19e siècle. En effet, c’est à partir de ce moment-là que notre société se pense elle-même. L’on dit alors qu’elle s’auto-référence. Ainsi, toutes les politiques publiques relatives à ce domaine s’effectuent dans un objectif de paix civile et sociale. La paix civile étant en soi un garant, sinon le meilleur garant, de la stabilité du pouvoir politique en place.

Ainsi, la laïcité, avant d’être considérée comme une norme juridique, est un principe philosophique. Principe philosophique qui, par définition, procède de plusieurs interprétations selon les positions idéologiques des différents acteurs. Plusieurs termes permettent de mieux appréhender toute l’entièreté de ce principe apparaissant vaste. Le terme de laïcisme est une première déclinaison. Il apparait pour la première fois dans l’Angleterre du 16e siècle. Mais, s’agissant d’un courant de pensée prônant la prise de responsabilités des laïcs dans les affaires des instances religieuses, il prend tout son sens politique au 19e siècle en France. Toutefois, dans une acception plus contemporaine il est employé de manière péjorative pour désigner un individu ou un groupe militant vigoureusement pour une conception stricte du principe de laïcité. Néanmoins, le laïcisme n’est pas non plus le laïcardisme. Il s’agit d’un terme davantage contemporain et beaucoup plus péjoratif en ce sens qu’il désigne un groupe politique revendiquant l’athéisme de ses membres. Cependant, durant le 19e et le 20e siècles du principe philosophique de laïcité a découlé tout un dispositif normatif. Ce sont précisément les objectifs et les motivations dans l’élaboration des différentes lois relatives à l’organisation des rapports entre la société et les religions qui constituent une question à la fois passionnante et clivante pour les débats présidentiels à venir en 2017.

C’est pourquoi il est intéressant d’analyser les programmes et propositions formulées dans le cadre de la campagne présidentielle qui s’amorce. Cette étude, sous un angle universitaire et journalistique, permettra d’appréhender la manière dont sont envisagées les politiques publiques de laïcité dans une volonté de cohésion sociale.

La juridicisation de l’organisation des rapports religieux et civils

Une question ancienne entraînant un long processus

Comme nous l’avons précédemment évoqué, la Révolution française n’entraîne pas que les bouleversements politiques que nous connaissons. Michel Foucault et Pierre Bourdieu évoquent ainsi l’auto-référencialité de la société depuis cette période révolutionnaire. Bien que débutée auparavant, c’est durant la transition politique du début du 19e siècle que se produit le plus gros bouleversement. Ainsi, il ne faut pas attendre bien longtemps pour voir émerger les premières mesures concrètes. Dès l’année 1801 la signature du concordat entre le premier consul Napoléon Bonaparte et le pape Pie VII dessine les contours d’une nouvelle organisation des rapports entre le monde religieux et civil. Par la suite, le règne de Charles X marque également une appropriation par le pouvoir politique des questions d’organisation de la pratique religieuse. Plutôt devrions-nous dire une réappropriation dans le sens où ce règne illustre une parenthèse dans le régime concordataire avec le rétablissement des règles théocratiques et notamment la loi sur les sacrilèges de 1825. On a pour habitude de qualifier le 19e siècle de “laboratoire constitutionnel de la France”, les autres régimes après celui de Charles X ont tous cherché à réguler les tensions entre les autorités religieuses et civiles. Ainsi, Louis-Philippe Ier est un roi libéral qui revient sur les strictes règles de son prédécesseur. Puis, le renouveau bonapartiste réinstaure le régime concordataire. En conséquence de quoi les pouvoirs publics inscrivent, pour longtemps, cette question à l’agenda politique des gouvernements successifs.

Des revirements nombreux du 19e siècle et du début du 20e siècle, nous pouvons distinguer trois paradigmes principaux dont le troisième surviendra plus tardivement en réaction conjoncturelle.

Des paradigmes successifs depuis le 19e siècle
  • Un laïcisme de contrôle et de surveillance (1801-1905)

Le premier de ces paradigmes est encouragé par le régime concordataire. Il illustre la volonté de l’autorité publique de contrôler les cultes de manière stricte voire parfois autoritaire, de contrôler le personnel religieux afin de s’assurer de sa loyauté à son égard. Mais ce paradigme est aussi marqué par une surveillance rétroactive et a posteriori des autorités religieuses. En somme, le pouvoir politique a un droit de regard sur l’organisation et la tenue des cultes dans tout le pays.

  • Une laïcité juridique (ou positiviste) (1905-2000)

La IIIème République avec la loi de 1905 relative à la séparation de l’Église et de l’État fait entrer la société française dans un nouveau paradigme qui est celui d’une laïcité juridique. Les rapports entre la sphère religieuse et la sphère publique sont encadrés par le droit, ce qui ne laisse plus beaucoup de place à l’interprétation, mais plutôt au positivisme juridique strict. Cela explique d’ailleurs les nombreuses difficultés du clergé catholique avec les autorités publiques durant toute la période dite de la République radicale, avec notamment des personnalités comme Émile Combes ou Georges Clemenceau. Ce paradigme est renforcé, en 1937, lorsque le ministre Jean Zay prend un décret pour interdire les signes religieux et politiques dans l’école publique. La circulaire est annulée en 1989 par Lionel Jospin. Ainsi, nous constatons que les politiques publiques qui organisent la vie religieuse dans la société française se fondent quasiment exclusivement sur le droit et sont donc décidées par le pouvoir exécutif.

  • “L’intégrisme républicain” (après la commission Stasi) (2003-?)

L’année 2003 est l’année charnière du passage de ce paradigme dominé par le droit à une approche davantage politique et métapolitique. En effet, la commission Stasi [1] ambitionne explicitement de trouver un nouveau moyen  de concevoir la laïcité dans la société française. Cette commission fait suite au rapport Baroin de mai 2003 avec l’explicite titre “pour une nouvelle laïcité”. La commission Stasi est composée de membres comme Jean Baubérot, Régis Debray ou encore Henri Pena-Luiz. Il s’agit de personnalités aux conceptions différentes, à l’exemple de Henri Pena-Luiz et Jean Baubérot[2]. Ce qui se dégage est une laïcité exclusive et incisive envers les pratiques religieuses quelles qu’elles soient. A ce sujet, Pierre Manent[3] explique très bien les ressorts de cette nouvelle conception de la laïcité :”Ce compromis reposera nécessairement sur deux principes qui ne peuvent valoir que s’ils sont honorés ensemble : d’une part, les musulmans sont acceptés « comme ils sont », on renonce à l’idée vaine et passablement condescendante de « moderniser » autoritairement leurs mœurs, pour ne rien dire de cette « réforme de l’Islam » à laquelle aspirent avec une passion un peu difficile à comprendre tant d’athées de notre pays ; d’autre part, on préserve, on défend, on « sanctuarise » certains fondamentaux de notre régime et certains traits de la physionomie de la France.” Le compromis dont il est question est une forme d’ultimatum envoyé aux religieux de France, mais qui s’adresse principalement aux musulmans.

Nous en sommes donc à ce troisième paradigme que J. Baubérot nomme “l’intégrisme républicain”. C’est dans ce nouveau cadre conceptuel que nous pouvons procéder à un état des lieux des positions du personnel politique lancé dans la course à l’Élysée.

Quand la laïcité s’invite dans la campagne présidentielle

La question des rapports au religieux divise autant qu’elle bouscule les vieux clivages politiques ; c’est pourquoi nous nous attachons à explorer les positions des principaux acteurs politiques.

 Entre points de clivages et terrain d’entente

Il faut souligner un point d’entente qui illustre d’ailleurs l’installation du nouveau paradigme. En effet, le décret de 25 mars 2007 instaure l’Observatoire de la laïcité auprès du Premier ministre. Cet observatoire a aussi bien des fonctions de conseils, de propositions et de consultation par et pour le Premier ministre. En somme, il concerne le respect de la laïcité dans l’Administration ainsi que dans l’école publique. Il n’a cependant pour seule valeur contraignante que la possibilité d’émettre des rappels à la loi concernant l’exigence de neutralité du service public. En conséquence, cet observatoire de la laïcité s’inscrit, d’une part, dans le troisième paradigme au sens où il s’agit de veiller à l’absence de signes distinctifs de pratiques religieuses. D’autre part, il dépasse les clivages droite/gauche par le fait qu’il n’a pas été remis en cause au moment de l’alternance politique en 2012. Ce qui montre bien qu’il s’agit d’un instrument au service des autorités publiques.  Par ailleurs, dans le même esprit que l’observatoire de la laïcité, nous avons la charte de la laïcité présentée le 9 septembre 2013 et qui vise à poser un cadre de définition de ce que doivent être les pratiques de laïcité dans l’espace public. Cette création de la charte de la laïcité s’inscrit dans un contexte de progression et de l’affirmation de l’Islam dans la société française. Cette affirmation se faisant parfois au détriment des règles de la séparation des cultes et de l’État. Ceci étant, l’observatoire et la charte de la laïcité offrent des instruments de politiques publiques d’une nouvelle nature. Nous constatons que toutes les politiques publiques allant dans le sens de la promotion de la laïcité s’inscrivent dans cet universalisme républicain que Régis Debray distinguait de la démocratie pluraliste. Ce n’est pas sans rappeler d’ailleurs l’affrontement idéologique entre Debray et Camus sur ce sujet ; Camus préférant parler de localisme démocratique tandis que Debray insistait sur le caractère universel de la République.

Tous ces points de convergence sont favorisés par l’installation du nouveau paradigme, mais renforcent également celui-ci dans le sens où il contribue à imposer une grille de lecture dominante. Il n’est donc pas étonnant de retrouver sensiblement les mêmes positions, autour de l’universalisme républicain, dans les propositions de campagne des candidats déclarés à la présidentielle. En somme, la plupart des acteurs politiques s’inscrivent, peu ou prou, dans cette volonté de refonder la laïcité en dépassant le cadre juridique de 1905 du fait d’un changement de contexte.

Des réticences et des frilosités

L’offre politique dans sa quasi-unanimité ne propose pas de revenir sur cette nouvelle approche pour refonder la laïcité. De Jean-Luc Mélenchon à François Fillon en passant par François Bayrou, des voix s’élèvent pour dépasser le cadre strictement juridique de l’organisation des cultes dans la société. Le candidat défait de la primaire de la droite et du centre, Alain Juppé proposait d’amender pour l’améliorer la charte de la laïcité et aussi d’instituer un Islam de France. Quant à François Fillon, il s’inscrit dans la philosophie du compromis de Pierre Manent et prône de faire de la laïcité un instrument de “tolérance réciproque” et non plus seulement un cadre juridique indépassable. La porte-parole de Fillon, Valérie Boyer, apparaît sur les plateaux télévisés avec une grande et visible croix, ce qui exprime une nouvelle approche de la place des signes religieux dans l’espace public. Par ailleurs, l’été 2016 a été le théâtre d’une polémique en rapport avec le burkini. Cette tenue vestimentaire a réactivé la question de la visibilité des symboles religieux dans l’espace public.

Pour trouver des résurgences du paradigme juridique, lié à la loi de 1905, il faut aller du côté de la droite autoritaire et souverainiste. Le projet de Nicolas Dupont-Aignan, et surtout celui de Marine Le Pen[4] revendiquent explicitement le recours et le retour en force de la loi de 1905 comme instrument d’organisation des rapports politico-religieux dans la société française. C’est en cela que nous parlons de réticences et de frilosités à  l’égard de cette nouvelle approche de la laïcité. Il s’agit dans le cas du programme de Marine Le Pen d’un retour au paradigme dominant avant 2003 et l’ouverture de réflexions sur la refondation de la laïcité à la française.

La laïcité, et à travers elle les politiques publiques pour organiser une pratique religieuse multiple et diverse dans la société, font bien partie des propositions des candidats lancés dans la campagne présidentielle de 2017. Ces propositions renvoient à trois paradigmes successifs exprimant des approches différentes des politiques publiques dans ce domaine. La période électorale offre ainsi un moment essentiel de discussion voire de redéfinition de l’approche dominante, depuis 2003, de la laïcité en France.

Coécrit par Pierre Flamant, Rindra Tsiory Andriamiandravola, Xueyun Liu

 Références

BAUBEROT Jean (2006), L‘intégrisme républicain contre la laïcité, ed. de L’Aube.

BAUBEROT Jean (2014), La laïcité falsifiée, La Découverte, Réd.

DEBRAY Régis, LESCHI Didier (2016), La laïcité au quotidien : guide pratique, Folio.

KINTZLER Catherine (2014), Penser la laïcité, Editions Minerve.

REMOND René (1992), Les droites en France, Aubier-Montaigne.

WEIL Patrick, Politiques de la laïcité au 20ème siècle, PUF.

[1]Du nom de Bernard Stasi, homme politique (UDF) et administrateur civil (1930-2011)
[2]H.Pena-Ruiz, Dictionnaire amoureux de la laïcité. S’affronte à Baubérot lequel l’accuse d’avoir une vision unique de la laïcité.
[3]P.Manent, Situation de la France, Desclée de Brouwer.
[4]“Application ferme sur l’ensemble du territoire national de la loi de 1905 de défense de la laïcité. Cette loi ne doit pas être modifiée.” Programme 2012

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