Dans cet ouvrage, Julie Pollard analyse l’articulation entre Etat et marché dans la fabrication des politiques publiques du logement. Cette approche est tout à fait originale car elle cible son étude sur les interactions et rapports de force entre l’Etat, le maire et le promoteur immobilier dans les politiques du logement. De ce fait, l’auteure apporte un nouveau point de vue aux travaux scientifiques du logement qui, souvent, axent leurs études, soit sur l’action sociale du gouvernement, soit sur le rôle du marché et des acteurs privés. L’originalité de l’ouvrage tient enfin dans sa pluralité d’échelles d’études, de locales à nationales, ainsi qu’en l’analyse de leurs rapports entre elles.
Quelles sont ainsi les influences dont font preuve les acteurs privés dans la fabrication des politiques publiques ? Voici la question à laquelle l’auteure se confronte tout au long de son ouvrage. Pour y répondre, elle explicite en 6 chapitres le rôle d’intermédiaire du promoteur et sa dépendance vis-à-vis des instances publiques tout en définissant les instruments politiques du logement utilisés par L’État, le promoteur et le maire. De plus, elle souligne la complexité d’une enquête qui appréhende l’influence dans la fabrication des politiques de logement. L’erreur serait de ne fonder ses conclusions que sur le discours des acteurs. C’est pour cette raison que Julie Pollard mobilise une approche qualitative approfondie. Pour cela, elle étudie deux communes, St-Denis et Issy-les-Moulineaux à travers une cinquantaine d’entretiens d’acteurs du secteur et une analyse quantitative de corpus de documents et de données portant sur la construction de logements
Qui sont les promoteurs immobiliers ?
Afin de cerner au mieux la place des promoteurs immobiliers dans les politiques du logement, l’auteure axe dans un premier temps son analyse sur la définition de ces acteurs via l’étude de leur fonctionnement et de leur évolution sur une période de 25 ans. Les promoteurs immobiliers sont des opérateurs de projets de construction de logements de taille importante. A la fois transformateurs et organisateurs des différentes étapes de la construction, ces derniers ont une taille modeste (30% des logements construits en France en 2009 pour un chiffre d’affaires nettement plus faible que ceux des autres grands acteurs du logement). De plus, la plupart des promoteurs sont des entreprises familiales avec une durée de vie égale à celle de la mise en place d’un unique projet. Dans ce « secteur émietté », les seules entreprises stables sont les grands promoteurs ayant su compenser les conjonctures cycliques du secteur (alternance de périodes de crise et de relance) par des activités annexes telles que la gestion locative des logements produits. Du nom de Bouygues Immobilier, Nexity ou encore BNP Paribas Real Estate, ces grands promoteurs font presque tous partie de filiales bancaires ou de construction et disposent grâce à cela de liens privilégiés ou d’avantages financiers. Malgré cela, l’auteure oppose l’hétérogénéité interne des promoteurs à l’homogénéité de leurs revendications politiques.
L’auteure constate que les grandes étapes du développement des promoteurs sont liées à celles des politiques du logement, car l’allocation des ressources de ces dernières modifie les localisations et les types de logements dont s’occupent les promoteurs. L’histoire des promoteurs va commencer tardivement : après un faible départ dans les années 1930, le nombre de promoteurs va exploser en 1950 dû au besoin urgent de logements d’après-guerre. L’Etat instaure une rentabilité minimale pour les acteurs privés du logement, favorisant ainsi la construction. Cette expansion du secteur aidé va permettre à L’État de délimiter clairement le secteur du logement en deux acteurs distincts : les organismes HLM en charge des logements sociaux et les promoteurs immobiliers en charge du marché libre. Néanmoins, les années 1970 vont mettre en lumière les répercussions négatives d’une telle aide, à savoir que les politiques d’aide n’ont pas tant bénéficié aux plus pauvres, mais surtout à la classe moyenne, voir moyenne aisée. Cela va marquer la fin du secteur aidé basé sur l’aide aux producteurs (aides à la pierre) et l’émergence de politiques basées sur les bénéficiaires (aides à la personne) et sur l’aide d’État au domaine du social seulement. L’« émancipation forcée » que vont connaître les promoteurs est néanmoins à nuancer, car ils vont connaître des interventions plus indirectes de L’État tel que les dispositifs d’aide à l’investissement locatif.
L’État et les promoteurs
L’État a un pouvoir de décision et de contrôle des acteurs privés et publics du logement via trois outils : les outils contraignants, incitatifs et de soutien. Les outils contraignants sont des réglementations législatives et coercitives qui encadrent les promoteurs. Ces normes s’appliquent uniquement sur leur domaine d’action et n’encadrent pas leur métier : ainsi le métier de promoteur ne peut pas être considéré comme une profession car l’État n’y a jamais instauré une protection légale du monopole et une formation, limitant de ce fait la capacité des promoteurs à s’unir face aux autres acteurs du milieu malgré l’instauration d’organismes intermédiaires et de chartes de pratiques. Les instruments de soutien sont quant à eux des outils économiques et fiscaux qui permettent la redistribution (impôts, taxes) ou la réorientation (subvention, réductions de taxes) de ressources. Les dépenses fiscales telles que les dispositifs Périssol, Scellier, ou encore Pinel sont devenues les outils majeurs de L’État. Plus simples à introduire que des politiques budgétaires (car permettant de “contourner Bercy”), elles ont des effets à court terme et permettent une marge de manœuvre significative. En échange d’une augmentation de l’offre du logement, les promoteurs immobiliers sont ainsi devenus des bénéficiaires importants de ces niches fiscales. Enfin, L’État dispose d’outils d’incitation. Bien que peu utilisés, ces outils consistent en une institutionnalisation d’un « partenariat de mise en œuvre » entre acteurs privés et publics et peuvent être retrouvés lors de la création de normes environnementales, où les acteurs privés sont concertés avant d’être contraint normativement.
Dès lors, face à l’expansion des dispositifs fiscaux sur l’investissement locatif, quelle est la place des promoteurs dans leur adoption ? Pour répondre à cette question, l’auteure s’est penchée sur les actions et influences collectives des promoteurs via l’étude la Fédération des Promoteurs Immobiliers (PPI). Bien que regroupant un grand nombre de promoteurs, l’auteure démontre que la fédération n’a pas une place incontournable dans le processus décisionnel, ce bien qu’elle puisse être un potentiel partenaire. Cette dernière est en effet plus tournée vers ses membres (logique d’adhésion) que vers l’extérieur (logique d’influence) afin de créer un certain degré de cohésion interne pour faire valoir une voix unie dans son secteur. Malgré cela, la FPI n’a pu se faire entendre que lorsque des conjonctures exceptionnelles lui ont permis de s’allier aux autres grands du secteurs, témoignant ainsi de sa très faible influence. Paradoxalement, les promoteurs peuvent avoir plus d’influence dans le lobbying individuel en se différenciant des autres promoteurs, c’est-à-dire en se tournant vers les attentes du secteur public tout en cherchant à recruter des personnes issues de ce dernier. Malgré ces différentes actions, l’auteure établit clairement que les promoteurs n’ont pas d’influence sur les politiques du logement, décidées par L’État.
Le promoteur, acteur fort de l’échelle locale ?
L’auteure s’est par la suite intéressée à l’analyse des politiques locales du logement. Elle souligne que des rapports d’échange entre acteurs locaux et promoteurs sont visibles sous deux dimensions : la stabilité de leurs interactions (multiplication de liens formels et informels afin d’éviter les conflits) et leur forte interdépendance pour leurs ressources (le maire transforme en ressources locales des instruments nationaux tels que le permis de construire, tandis que les promoteurs sont maîtres d’expertises et de mises en œuvre nécessaires aux politiques de peuplement). Les élus locaux ont souvent l’ascendant dans de tels rapports : en témoigne la participation accrue des promoteurs immobiliers dans la construction de logements sociaux, impulsée par des maires désireux de simplifier des opérations complexes. Cette ascendance reste néanmoins fluctuante selon 3 variables clefs proposées par l’auteure: la variable temps (plus une commune vieillie, plus elle peut gagner en attractivité et pérenniser ses liens avec un nombre limité de promoteurs), la variable espace (plus la commune est grande, plus elle aura de l’indépendance face aux ressources proposées par les promoteurs) et la variable morphologique (selon leur morphologie, les communes ne vont pas construire le même type de logement et ne vont donc pas avoir besoin de la même présence des promoteurs). L’auteure prend l’exemple de Saint Denis qui, fort de ressources et d’expertises communales, impose aux promoteurs une charte fixant leur place dans les propriétés politiques. D’autres communes telles que celle d’Issy-les-Moulineaux sont quant à elles moins planificatrices que négociatrices, et laissent donc une place plus importante aux liens informels.
Dans un dernier temps, l’auteure se penche sur la capacité de mise en œuvre des promoteurs. Il est très difficile pour L’État d’évaluer le coût, l’efficacité et le nombre de niches fiscales qu’il propose car il en délègue la mise en œuvre aux acteurs privés. En l’absence de contrôles, les promoteurs sont devenus des acteurs clés dans la communication et la vente des dispositifs fiscaux d’incitation aux logements locatifs et adaptent l’offre là où elle est le plus avantageuse pour eux et non pas pour L’État (avec un centrage fait sur la vente à des investisseurs ne résidant pas dans les logements achetés car plus rentable). En résulte un décalage entre certaines zones où se concentrent les logements locatifs défiscalisés et d’autres en tension. Néanmoins, bien que primordiaux dans la mise en œuvre, les promoteurs se retrouvent bien souvent limités par le contrôle des communes. Malgré des stratégies coopératives avec l’État, ils se retrouvent de ce fait dans des rapports de force conflictuels avec le local.
L’Etat, le promoteur et le maire permet de mettre en évidence la complexité des interactions entre les différents acteurs du logement, en particulier selon les échelles de gouvernance. Julie Pollard montre que, malgré des liens d’interdépendance réciproques, le promoteur semble plus dépendant des acteurs publics que l’inverse. Cependant, l’auteure développe dans sa conclusion l’idée que, du fait de la délégation de leur mise en œuvre, l’avènement des dispositifs fiscaux à l’investissement locatif entraîne une dépendance croissante des politiques à l’égard des acteurs privés du logement.
Malgré des explications précises et claires comme lors de la description des différents instruments de L’État pour encadrer les promoteurs, des passages restent complexes à aborder pour les néophytes des politiques du logement. Le lien entre promoteurs et constructeurs aurait mérité quelques éléments d’explications plus concrets avec un schéma un peu plus large du processus ou des différents acteurs des politiques du logement. De plus, il pourrait être intéressant d’effectuer une nouvelle enquête sur des communes se situant dans d’autres régions et de différentes tailles. Toutefois, l’ouvrage de Julie Pollard reste un véritable outil pour comprendre le lien entre les acteurs privés et publics du logement. L’explication de tels liens, et surtout leurs conséquences sur les politiques du logement, sont particulièrement intéressantes et captivantes.
Emma BRUNET et Lidvine PORTAL
Pour aller plus loin
Topalov Christian, Les Promoteurs immobiliers. Contribution à l’analyse de la production capitaliste du logement en France, Mouton, 1973
Howard Christopher, The Hidden Welfare: Tax Expenditures and Social Policy in the United States, Princeton University Press, 1997
Hacker Jacob, “Privatizing Risk without Privatizing the Welfare State: The Hidden Politics of Social Policy Retrenchment in the United States”, The American Political Science Review, 2004
Woll Cornelia, “Leading the Dance? Power and Political Resources of Business Lobbyists”, Journal of Public Policy, 2007
Houard Noémie, Loger l’Europe. Le logement social dans tous ses Etats, La Documentation française, 2011
Bonnet Lucie, Métamorphoses du logement social. Habitat et citoyenneté, Presses universitaire de Rennes, 2016
Pollard Julie et Gimat Matthieu, « Un tournant discret : la production de logement sociaux par les promoteurs immobiliers », Géographie, économie, société, 2016
Michel Hélène, « Pour une sociologie des pratiques de défense : le recours au droit par les groupes d’intérêt », Sociétés contemporaines, 2003
Lascoumes Pierre et Le Galès Patrick, Gouverner par les instruments, Presses de Science Po, 2004