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Drogues, SIDA et action publique

 

La loi du 31 décembre 1970, aussi appelée loi MAZEAUD, portant sur la lutte contre la toxicomanie est toujours en vigueur aujourd’hui. Elle donne naissance à une série de mesures politiques à la fois pénales et sanitaires. À la fin des années 1980, la propagation de l’épidémie de SIDA parmi les toxicomanes interroge les choix antérieurs en matière de gestion des drogues illicites. Les problèmes liés à cette maladie vont pousser les acteurs du secteur à adapter l’action publique. Gwenola LE NAOUR, maître de conférence en science politique à Science-Po Lyon a mené une enquête autour de ce problème devenu public. En 2010, elle sort le fruit de ses recherches et expose comment les acteurs publics parviennent à convaincre sur la nécessité d’agir sur le  problème.

Elle s’interroge sur la question suivante : comment des acteurs qui s’opposent en tout, finissent-ils par coopérer ? Tout comme l’auteur, nous allons partir de cette loi et présenter l’ensemble de l’action publique et son évolution dans ce domaine.

Un conflit sur la réduction des risques opposant plusieurs acteurs

Le développement exponentiel de l’épidémie de SIDA chez les toxicomanes, aussi appelé usagers de drogue dans les années 1980, a conduit une diversité d’acteurs à prendre part et à redéfinir l’action publique en coopérant dans l’optique de lutter collectivement contre la prolifération de la maladie1. Cette collaboration n’a pas été sans antagonismes engendrant de facto des conflits. Il convient de revenir dès lors sur la définition du SIDA afin de mieux appréhender le rapport fait dans l’ouvrage entre toxicomanie et virus du SIDA. Le SIDA est une maladie provoquée par le Virus de l’Immunodéficience Humaine, il s’installe dans l’organisme du séropositif et attaque les défenses immunitaires. Ainsi, il peut se transmettre lorsque le toxicomane partage ou réutilise son matériel lié à l’usage de drogues.

L’auteure, Gwenola LE NAOUR, revient sur les deux représentations du toxicomane dont chaque acteur, partie prenante à l’action publique, tente de légitimer sa vision et de déconstruire celle des autres. Dans un premier temps, les toxicomanes sont perçus comme étant des délinquants, des déviants. Le premier acteur, l’État, décide l’instauration d’un nouveau délit celui de l’incrimination de l’usage privée de drogue. La France devient le pays d’Europe le plus répressif dans la lutte contre les drogues. C’est dans ce cadre d’action que la police, la magistrature et les élus se mobilisent. Très vite, ces acteurs constatent l’inefficacité d’une politique publique tournée essentiellement vers la répression et réinterrogent l’action en oeuvre jusque-là.

C’est l’accroissement inexorable des cas de SIDA chez les toxicomanes qui sonne le glas du tout répressif. Notons par ailleurs que les divergences d’approches entre Ministère de la Justice et ministère de la Santé sont apparent légitimer sa vision et de déconstruire celle des autres. Dans un premier temps, les toxicomanes sont perçus comme étant des délinquants, des déviants. Le premier acteur, l’État, décide l’instauration d’un nouveau délit celui de l’incrimination de l’usage privée de drogue. La France devient le pays d’Europe le plus répressif dans la lutte contre les drogues. C’est dans ce cadre d’action que la police, la magistrature et les élus se mobilisent. Très vite, ces acteurs constatent l’inefficacité d’une politique publique tournée essentiellement vers la répression et réinterrogent l’action en oeuvre jusque-là. C’est l’accroissement inexorable des cas de SIDA chez les toxicomanes qui sonne le glas du tout répressif. Notons par ailleurs que les divergences d’approches entre ministère de la Justice et ministère de la Santé sont apparents dès le début (1ère partie, chapitre 2).

La seconde représentation du toxicomane proposé dans le livre par Gwenola LE NAOUR se veut être pragmatique en considérant les toxicomanes comme malade. Dès lors, il est du ressort des pouvoirs publics de venir en aide à ces derniers. C’est à partir de ce nouveau postulat que des acteurs novices tentent de promouvoir une politique qualifiée de réduction des risques sanitaires et sociaux (RDR). L’auteure nous indique qu’il s’agit d’associations tel que Médecins du monde et Aides pour qui la priorité doit être la prévention et la protection de la santé publique et non la répression de l’usage de drogues et préconise une série d’actions comme le travail de rue et l’échange de seringues sans obligation de sevrage ou encore l’extension des traitements de substitution.

Le secteur associatif semble être l’acteur le plus important du combat et est celui qui revient le plus tout au long de l’ouvrage. Il y a une diversité d’associations comportant des membres au parcours variés. On note l’émergence de groupes d’auto-support comme ASUD qui est une autoorganisation des toxicomanes, mais aussi le Tipi et Autres Regards. Ce sont des groupes d’entraides qui pensent que les institutions sociales, déjà existantes ne peuvent résoudre leurs problèmes2. C’est ici que le premier conflit entre acteurs se manifeste. L’acteur historique intervenant en toxicomanie comme les psychiatres, s’oppose aux promoteurs de la RDR et considèrent que les toxicomanes doivent être suivies en centres de soins, refus de les traquer dans les rues, ils s’inscrivent contre la prescription de traitement substitut et le sevrage doit être obligatoire (1ère partie, chapitre 3).

Gwenola LE NAOUR revient sur l’officialisation de la RDR avec le changement de majorité lors des élections législatives de 1993, la RDR se met en place et est adoptée par une large majorité des acteurs. On observe enfin l’irruption des  riverains comme acteurs qui engendre le second conflit sur la RDR. En effet, les voisins des sites où la politique de RDR est entreprise estime qu’ils n’ont pas été consultés et ont peur de la stigmatisation et la dégradation de leur quartier. L’auteure illustre cette position en donnant pour exemple les habitants du centre-ville de Marseille (2ème partie  chapitre 9). En somme, ces tensions récurrentes entre santé publique et sécurité publique sont significatives de la politique française de réduction des risques liés à l’usage de drogues et entraînent la mobilisation et la participation d’acteurs multiples. Marseille, une ville pilote, Paris ville décisionnaire, un va-et-vient constant qui s’impose Cette enquête s’inscrit donc dans des va-et-vient plus ou moins continus entre quartiers de Marseille, ville de Marseille, bureaux parisiens, d’une part, et entre élections nationales, élections locales, vies de quartiers, temporalité d’une politique publique nationale, d’autre part (1ère partie, chapitre 1). 

Marseille est choisie par les dirigeants parisiens pour être la ville pilote, la ville teste des mesures adoptées. Marseille est  donc devenue un véritable laboratoire à ciel ouvert afin de faire des tests de politiques publiques et d’évaluer leur efficacité. En près de 4 années, la ville fût impliquée et fût concernée par la mise en place de politiques publiques comme quasiment aucune autre ville ne l’a été. Le travail de l’auteure s’est orienté essentiellement sur cette ville car une étude sur l’ensemble du pays n’est pas possible. Beaucoup de choses y seront testées, et ce qui fonctionnera le mieux sera élargi à l’ensemble du pays dans le cadre de la politique de RDR. Les années 1994-1997 sont véritablement des années d’expérimentations. Des boutiques de PROTOX voient le jour, la structure AIDES Provence s’y installe (2ème partie, chapitre 3). De plus, c’est au sein de cette métropole que tous les acteurs dont nous avons parlé précédemment, se sont investis et ont mis en place de nombreuses mesures.

Ce que nous montre aussi l’auteure avec le choix de Marseille comme ville pilote, c’est l’application directe de certaines mesures à l’ensemble du territoire dès lors que cette mesure a fonctionné à Marseille. Or, ce qui fonctionne à un endroit ne fonctionne pas partout et demande parfois des adaptations.

Des mesures concrètes dans ce domaine à travers l’institutionnalisation du sujet

La lutte contre la toxicomanie passe par l’institutionnalisation et c’est une nouvelle voix qui s’ouvre. Les associations sont mêlées aux services territoriaux de l’État. Une nouvelle fois, la concurrence entre Paris et Marseille est ressentie. Les décisions bureaucratiques nationales sont prises à Paris pour une application par les services territoriaux (régions et départements). L’application des mesures sera parfois adaptée au territoire et à la réalité du terrain. Mais l’institutionnalisation des politiques de réduction des risques amène aussi à une meilleure efficacité car tous travaillent main dans la main ensemble3 (1ère partie, chapitre 6). Une fois le principe d’une politique publique de réduction des risques partagés par les principaux acteurs, des mesures concrètes ont été prises afin de réduire l’usage de drogue et ouvrir un mode de consommation à moindre risque pour diminuer le nombre de victimes du SIDA chez les toxicomanes. C’est en 1982 que la toxicomanie devient une compétence de l’État. Son engagement dans ce combat permet la légitimation de nombreux acteurs. Gwenola LE NAOUR en expose quelques-unes tout au long de l’oeuvre : en 1987, le Décret BARZACH signe la première action de la RDR, il a pour but de mettre en vente librement des seringues en pharmacie afin d’éviter les partages, les seringues étant vues comme un vecteur de l’épidémie du SIDA. En 1989, la Direction Générale de la Santé fait écho au précédent décret en décidant d’ouvrir trois programmes d’échanges de seringues (PES)4 expérimentaux à Paris, Marseille et en Seine Saint-Denis. Ces programmes se solderont par un échec et fermeront en 1992. En 1993, c’est l’ouverture du premier centre d’accueil pour toxicomanes actifs appelé « Transit ». En 1995, une « Charte des villes contre le SIDA » est rédigée dans le cadre de l’Organisation Mondiale de la Santé (annexe 1). Enfin, en 2004, la loi de la santé publique consolide la RDR, il s’agit d’améliorer la prévention des risques sanitaires.

En conclusion, les deux premiers chapitres retracent une histoire presque exclusivement nationale tandis que les trois chapitres suivants s’efforcent de montrer des implantations successives de dispositifs sur plusieurs territoires. Les politiques de RDR aboutissent à des coopérations entre acteurs multiples. Les différents dispositifs sont parfois contestés, puis tolérés (implantations sur la voie publique de distributeurs de seringues, ouverture de centres d’accueil dans des quartiers, etc.), les territoires d’implantations font l’objet de conflits d’usage entre employés, usagers des services et riverains (chapitre 8). Il nous fallait rendre compte de l’institutionnalisation des mesures de RDR, écartelés entre différents secteurs et échelles d’action publique, tributaires des orientations politiques territoriales et nationales et de leurs évolutions (chapitre 9).

Beaucoup de sigles et des termes trop ambigus sont utilisés. Ces derniers sont définis au début du livre mais leur utilisation massive arrive parfois à nous perdre et à rendre la compréhension difficile. Enfin, ce livre se rapproche fortement d’une enquête sociologique de terrain. L’auteure utilise la méthode des entretiens pour faire avancer son enquête et s’appuie sur le témoignage des différents acteurs pour en sortir des conclusions. Un acteur est néanmoins peu représenté dans les témoignages et beaucoup s’expriment à sa place, il s’agit des toxicomanes. Cependant, les qualités d’analyse de l’ouvrage ont conduit des acteurs à revoir leurs actions et une décennie plus tard il serait intéressant d’observer l’évolution de la politique de RDR.

Aniss BOUHOU et Noham SETTBON

Pour aller plus loin

– Paul-Julien DOL, La lutte contre la Toxicomanie, édition BORDAS, Paris 1985
– Jean Yves TRÉPOT, La force des dispositifs faibles : la politique de réduction des risques en matière de drogues, dans Cahiers internationaux de sociologie 2003 (n° 114), pages 93 à 108
– https://www.gouvernement.fr/missioninterministerielle-de-lutte-contre-lesdrogues-et-les-conduites-addictives-mildeca
– https://www.cairn.info/journalcommunication-et-langages1-2013-2-page-93.htm
– https://www.cairn.info/revue-vie-sociale-ettraitements-2007-2-page-20.htm
– https://www.drogues.gouv.fr/lessentielreduction-risques-dommages
– https://www.senat.fr/dossierlegislatif/pjl03-019.html
– https://reductiondesrisques.be/charte-dela-reduction-des-risques/

1. 1400 contaminations en 1995 contre 38 contaminations en 2016.

2. En 2009, à 17 ans, sur 10 jeunes, 9 ont bu de l’alcool, 6 ont fumé du tabac, 4 ont expérimenté le cannabis.

3. Les « usagers problématiques de drogues* », seraient 350 000 en France ; 110 000 d’entre eux ont pratiqué l’injection intraveineuse au cours de l’année. Parmi les 80 000 personnes suivies en 2016 dans 151 CAARUD en France, 8 sur 10 sont des hommes, souvent marqués par la précarité, une forte morbidité psychiatrique et un usage de multiples substances. 21,5 % ne disposent d’aucun revenu et 59,5 % d’un revenu social uniquement. En 2017, on dénombre 537 décès par surdose. Environ 180 000 personnes ont reçu un médicament de substitution aux opioïdes.

4. Nés au début des années 1990 pour endiguer les contaminations au VIH/SIDA, les programmes d’échange de
seringues (PES) ont évolué vers une offre plus large : offre de RDRD dans les CAARUD, par le biais d’automates ou en
officine, et dispositif à distance pour dispenser des conseils par messagerie ou téléphone et envoyer du matériel par voie postale (https://rdr-a-distance.info). Une liste des matériels de prévention pour les services de RDRD existe pour les professionnels.

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