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[Dossier sur l’intégration des Rroms] Le problème de l’intégration des Rroms en France : un processus d’exclusion générale

Capture d’écran 2016-12-15 à 11.20.29.pngL’utilisation du terme « Rrom » dans les médias en Europe est récente, mais parait davantage appropriée que l’usage des mots « bohémien », « manouche », « tsigane », « gitan » ou « romanichel », qui portent à confusion. « Rrom » est emprunté au « rromani », la langue du peuple « rrom », le double « r », est une lettre de l’alphabet rromani.[1] Quant au terme « gens du voyage », il s’agit d’une catégorie administrative issue de la loi française du 3 septembre 1969, dont le but était de remplacer le terme « nomade ». Cette typologie concerne les personnes vivant plus de six mois par an en résidence mobile terrestre. Les « gens du voyage » sont aujourd’hui 400 000 en France, soit 0,21% de la population, citoyens français dans leur majorité, et sédentarisés pour la plupart. Au sein de cette catégorie administrative on trouve également les « Roms ». Ce terme signifie « homme » en romani, il a été choisi par les Roms eux-même en 1971 pour remplacer le mot « Tsigane » considéré comme péjoratif. Cependant, il désigne souvent une branche du peule Tsigane, implantée majoritairement en Roumanie, mais également en Bulgarie et Ex-Yougoslavie, et dont une partie a émigré en Europe occidentale depuis la deuxième partie du XIXe siècle et depuis la chute des régimes communistes au XXe siècle [2].

Dans un souci de neutralité et de justesse nous utilisons le terme « Rrom » dans la suite de cet article pour désigner une minorité stigmatisée composée de Roms en majorité, mais également d’autres communautés. En France, les Rroms sont environ au nombre de 20 000, ils ne possèdent pas, dans la plupart des cas, la nationalité française. Certains sont sédentarisés, mais la majorité vit encore dans des bidonvilles (plus de la moitié de la population des bidonvilles français est d’origine rrom) qui sont la cible d’expulsions fréquentes. Dans un article du monde de janvier 2016, Marilyn Beaumard montre que parmi les 20 000 Rroms présents en France, 11 128 personnes ont été expulsées par les forces publiques tous les trois jours en 2014. Ces expulsions à répétitions montrent l’impossibilité des pouvoirs publics à répondre à ce problème sociétal, malgré le supposé engagement de l’Etat dans le domaine de l’Intégration, concept promu par la France depuis les années 1990 (création du Haut Conseil à l’Intégration) comme le processus de participation effective de l’ensemble des personnes vivant en France dans la construction d’une société rassemblée dans le respect de principes partagés, autour de droits et devoirs communs.

Un cercle vicieux de l’exclusion qui s’auto-entretient

Les Rroms sont victimes d’un paradigme essentialiste. Ils sont considérés comme une communauté homogène, sans prise en compte de leur qualité d’individus à part entière. De nombreuses caractéristiques les différencient et c’est la principale raison qui les pousse, eux-mêmes, à ne pas se considérer comme appartenant à un groupe commun. L’amalgame se fait donc souvent entre cette minorité et les individus qu’elle regroupe. Ceci explique que le comportement déviant de quelques individus rejaillit rapidement sur l’ensemble de la communauté et contribue à façonner une image de population déviante.

Par ailleurs, victime de préjugés et d’amalgames, la minorité Rroms est une minorité « à part ». Effectivement, ils sont considérés comme ne pouvant pas s’adapter aux codes de la population française, ayant, aux yeux de la société, des pratiques marginales considérées comme tangibles : mendicité, logement dans des camps, etc. Présentés comme issus de l’immigration clandestine, les Rroms sont pourtant des citoyens européens depuis 2007. Attestant qu’ils ne veulent pas s’intégrer ni travailler, ils sont présentés comme des délinquants. Pourtant, l’ensemble de ces pratiques sont utilisées contre leur propre volonté puisqu’elles ne sont pas le résultat de choix de vie mais d’un manque de moyens alternatifs proposés. Ces discriminations sont alimentées par les discours politique et médiatique qui les présentent comme la figure type de « l’immigration non choisie ». De fait, ils sont assimilés à une immigration subie, qui n’apporte aucune richesse à l’État et qui vit en marge de la société française. Les Rroms représentent « la minorité des minorités ». Le gouvernement entretient et amplifie le rejet de la population Rrom afin de justifier le traitement différencié de cette population et légitimer les politiques répressives à leur égard.

Voyons maintenant la situation des Rroms, telle qu’elle est définie par le droit. Depuis 2007, les Rroms sont des ressortissants européens et peuvent donc circuler librement. Cependant, lors de l’adhésion d’un pays à l’Union Européenne, les membres historiques peuvent limiter l’accès à leur marché du travail aux ressortissants du pays entrant pour une durée maximale de sept ans. C’est ainsi que la France avait, jusqu’en 2014, imposé des mesures transitoires limitant leur accès au marché du travail. Ces restrictions supprimées, les Rroms peuvent, théoriquement, travailler librement. De plus, la scolarisation des enfants est obligatoire pour tous. Enfin, concernant l’accès à la santé, les Roms en situation irrégulière peuvent bénéficier du régime AME[3]. Néanmoins, la pratique montre une toute autre réalité. Effectivement, d’après MDM[4], 90% de la population Rrom n’exerce pas son droit à l’AME. C’est le même constat concernant l’accès au travail, à l’hébergement et à l’éducation pour les enfants. En effet, ils font face à de nombreux obstacles : ils méconnaissent leurs droits, sont insuffisamment orientés dans les démarches à effectuer, effrayés par la lourdeur administrative, peu d’employeurs veulent les embaucher et surtout ils sont victimes de la barrière linguistique et économique. Finalement, les préjugés restent trop tenaces et leurs droits ne sont pas appliqués. C’est donc une exclusion à trois échelles dont ils sont victimes : politique, économique et sociale.

Les antagonismes des différents acteurs

Sur la question de l’intégration des Rroms, plusieurs acteurs interagissent. Le « problème Rrom », tel qu’il est souvent désigné par les médias et les politiques, étant étendu à l’échelle européenne, requiert l’attention particulière de l’Union Européenne. Cette dernière se trouve dans un dilemme entre la défense des valeurs qui lui sont attachées, et la réticence des États membres à appliquer les décisions prises au niveau européen. L’Union Européenne a pour volonté l’harmonisation des politiques, en témoigne le titre du rapport de la Commission Européenne sur la question : « Travailler ensemble pour l’intégration des Rroms » (2011)[5]. Au niveau national, l’État se trouve également tiraillé entre satisfaire l’opinion publique et remplir son devoir de défense des droits de l’homme et de l’égalité. Depuis 1990, la population des « gens du voyage », dénomination créée par la législation française pour remplacer le terme de « nomade », a amené l’État français à une réflexion particulière. En effet des mesures ont été mises en place et ciblées pour faciliter théoriquement l’intégration de ces communautés. Néanmoins, les évènements de ces dernières années montrent que les expulsions se sont multipliées et il semble que l’État cède à la pression des hommes politiques et de l’opinion publique, réfractaires à l’idée d’intégrer une communauté qu’elle juge « à part » et non conforme à l’idéal républicain. De plus, l’intégration des populations Rroms est à appréhender dans un contexte de crise de l’Intégration en France. Les communautés immigrées sont continuellement touchées par des « accros au contrat social[6] » et les populations Rroms sont les premières à en pâtir et la mise à l’agenda de leur Intégration par les politiques publiques devient secondaire.

D’un autre côté, les collectivités territoriales sont théoriquement les seules à pouvoir faire évoluer la situation et mettre officiellement en place des mécanismes d’intégration, notamment du fait de leur impact au niveau local. Néanmoins elles font face à de nombreuses réticences provenant des populations voisines de campements Rroms et à un manque de dialogue avec les associations spécialisées. On peut également mettre en exergue les règles locales de l’administration, peu flexibles dans la plupart des cas, qui rendent difficile l’adaptation des processus administratifs à une situation si singulière.

Enfin, les acteurs de la société civile apparaissent les plus à même de permettre une discussion entre tous les acteurs locaux. Ces acteurs sont multiples et souvent partagés par des valeurs et des objectifs divergents voire même antagonistes. Parvenir à un consensus peut alors sembler mission impossible, mais la résolution du problème de l’intégration des Rroms exige le dialogue entre l’ensemble des acteurs.

Dans le même dossier : La résolution du “problème Rrom”

Coécrit par Chloé Duffy, Monica Rosas et Salomé Mimouni

[1] Saimir Mile dans « Café Babel » en 2008
[2] Petit lexique des Tsiganes, Roms, Gens du voyage , pour Le Monde par Angela Bolis: http://www.lemonde.fr/societe/article/2012/10/17/petit- lexique-des-tsiganes-roms-gens-du-voyage_1768945_3224.html
[3] AME : Aide Médicale d’Etat : dispositif permettant aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins
[4] L’ONG Médecins Du Monde
[5] « Travailler ensemble pour l’intégration des roms » 2011, par la commission européenne. URL : http://ec.europa.eu/justice/discrimination/files/working_together_for_roma_inclusion_fr.pdf
[6] Jacqueline Costa-Lascoux 2011
Sources : 
Vincent Dubois, « La vie au guichet. Relation administrative et traitement de la misère », Paris Economica, 2010
Gérard Noiriel, Le creuset français, histoire de l’immigration , XIX et XXe siècle. édition Points 1988, mise à jour de 2006
Jacques Dupaquier, Yves-Marie Laulan Immigration / Intégration un essai d’évaluation des couts économique et financiers, édition L’Harmattan 2005
Michèle Tribalat, De l’immigration à l’assimilation, Equête sur les populations d’origine étrangère en France. Edition La découverte/ INED 1996
Vincent Latour , Le Royaume-Uni et la France au test de l’immigration et à l’épreuve de l’intégration: 1930-2012 , Presses universitaires de Bordeaux, 2014
Benjamin Stora et Emile Temimi (sous la direction de), Immigrances, L’immigration en France au XXe siècle édition Hachette Littératures, 2007
Jacqueline Costa-Lascoux, « Restaurer le lien social par l’intégration et la laïcité », dans le recueil Repenser la solidarité édition Puf 2011, dirigé par Serge Paugam.
Etienne Liebig ,De l’utilité politique des Rroms, une peur populaire transformée en racisme d’Etat , édition format Kindle 2012
Katia Lure , Endoétrangers, Exclusion, reconnaissance et expérience des Rroms et gens du voyage en Europe, Edition Carrefours, 2012
Mihaela Nedelcu, « Les migrations des Roms roumains en Europe : politiques d’inclusion, stratégies de distinction et (dé)construction de frontières identitaires », dans le n°32 de la Revue européenne des migrations internationales, Université de Poitiers.
Thomas Vitale, « Les politiques locales face aux Roms : entre réification, effets de visibilité et reconnaissance » publié en 2015 sur le site métropolitiques.eu http://www.metropolitiques.eu/Les-politiques-locales-face-aux.html
Mirna Safi, « Une refondation manquée » dans laviedesidées.fr , 2015
Pierre Lascoumes, « L’action publique au prisme de ses instruments » publié dans La Revue française de sciences politiques N°61 en 2011 https://www.cairn.info/revue-francaise-de- science-politique-2011-1-page-5.htm
Camille Chaix, sous la direction de Danièle Demoustier, « Les associations de solidarité avec les Roms migrants en France : des représentations collectives à l’action associative », Institut d’Etudes Politiques de Grenoble, 2008
Olivier Legros et Tommaso Vitale, « Roms migrants en ville : pratiques et politiques en Italie et en France » dans le n°86 de laPresse revue Geocarrefour, 2012
« Roms quand la stigmatisation vient des politiques », reportage de Cyrielle Balerdi publié sur le site de Libération
« Les roms victime d’absence d’une absence de volonté d’intégration politique » par Eric Nunès pour Le Monde en 2014
« La France, championne d’Europe des expulsions de Roms » par Marion Candau, pour le site Euractiv en 2015 http://www.euractiv.fr/section/politique/news/la-france-championne-d-europe-des-expulsions-de-roms/
Rapport de la commission européenne sur l’intégration des Roms «Travailler ensemble pour l’intégration des roms », 2011 http://www.romeurope.org/IMG/pdf/2011_04_05__Cadre_europeen_pour_des_strategies_nationales_d_integration_des_Roms.pdf
Revue européenne des migrations internationales http://remi.revues.org/

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