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Le lobby évangélique au Brésil

L’immense temple évangélique de Salomon à Sao Paulo construit en 2014. (Licence Creative Commons)

L’élection de Jair Bolsonaro à la tête du Brésil en Octobre 2018 est le résultat d’un grand nombre de paramètres mais l’un des plus important reste l’influence évangélique. On peut amplement qualifier cette influence de lobby tant elle a pesé dans ce jeu électoral. Cependant, cette influence n’est pas nouvelle, et tend à se faire ressentir dans les politiques publiques du pays de manières diverses.

Un contexte socio-politique particulier

Le Brésil est un Etat laïque depuis la Constitution de 1891, principe intimement lié à l’idéal républicain. Etant le premier pays catholique du monde, la religion a malgré cela toujours eu une place importante dans la société. Mais à partir des années 80, on voit apparaitre une explosion des églises évangéliques qui prendront progressivement de l’ampleur. Il est important de préciser que ces églises ne sont pas un ensemble homogène, et se veulent pour la plupart indépendantes les unes des autres mais s’unissent en cas d’adversité. Elles ne sont donc toutes pas forcément réactionnaires.

Cette influence est née d’un abandon de la gauche au pouvoir et des catholiques (depuis Pape Jean-Paul II) dans des zones dites « humbles ». En effet les populations les plus pauvres ont été délaissées par les partis traditionnels et par l’église catholique, ce qui a créé un véritable appel d’air pour les églises évangéliques qui n’auront aucun mal à s’insérer dans ces quartiers ou ces favelas. En 2010, 22% de la population brésilienne était évangélique. (Selon l’institut Brésilien de Géographie et de Statistiques)

Inspiré de l’influence de l’évangélisme des Etats-Unis, mais toutefois différent. Les temples évangéliques deviennent de véritables moyens de pallier l’absence de l’Etat, en devenant de véritables instances de socialisation, d’éducation, de santé et même d’emploi. L’aspect théologique est presque moins présent que l’aspect politique dans les temples. C’est notamment par le biais de pasteurs charismatiques et fort d’éloquence que passe cette politisation de l’église, dans laquelle les pasteurs appellent très clairement à voter pour un candidat.

Une vision marketing de l’évangélisme

Les idéaux d’une politique ultra-conservatrice croissante défendus par ces pasteurs sont diffusés selon une certaine vision marketing de la société évangélique. En effet, cet écho si fort s’explique par la puissance de communication des églises. La deuxième chaine TV du pays Record, est une chaine évangélique. De véritable chaines de réseaux sociaux et d’information voient le jour allant ainsi vers une vision unique et fermée de pensée, permettant ainsi une expansion de cet évangélisme. Le lobby cherche aussi à séduire le plus grand nombre : des églises pour les gays sont mises en place par exemple.

Les trois plus puissantes églises du pays sont l’Assemblée de Dieu qui représente 50% des évangéliques, la Congrégation chrétienne du Brésil (15%) et l’Eglise Universelle du Royaume de Dieu (12%). L’EURD est un véritable empire possédant ainsi des médias, des entreprises de tourisme, d’assurance, de chaîne TV à l’image de cette surpuissance évangélique.

Des valeurs conservatrices qui se font une place dans la sphère politique

La chambre des députés brésilienne en pleine session. (Licence Creative Commons)

Fruit de cette influence conservatrice qui est généralement lié aux évangélistes, les valeurs et préceptes religieux tendent à se fondre dans les politiques publiques brésiliennes. En effet, le lobby religieux au parlement Bancada Evangelica, groupement ouvertement évangélique, a réussi à impacter la politique de l’éducation des enfants brésiliens. Toute mention à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre a été rognée des programmes scolaires. A côté de ça, on parle même de promouvoir une « guérison » de l’homosexualité.

Ici s’opère une véritable chasse aux homosexuels et aux idées progressistes. Le bloc parlementaire BBB, résultat d’une coalition entre les grands propriétaires terriens de l’agro-business (bœuf), des églises évangéliques (bible) et des défenseurs de la libéralisation du port d’arme (balles) prennent une ampleur colossale lorsqu’on sait qu’ils risquent d’obtenir 180 sièges aux prochaines élections. Véritables ennemis de la théorie du genre, leur but ultime est de freiner les actions allant à l’encontre des préceptes de l’église. Ils se sont notamment prononcé face aux lois pour l’avortement et pour le mariage homosexuel, autorisés par la cour suprême en 2014 avec des arguments « pro-vie » (pro-vida). Ils défendent ainsi le statut de l’embryon, qui occasionna un véritable débat public, ainsi que le statut de la famille devant être traditionnellement composée d’une mère et d’un père. Un projet a d’ailleurs été déposé au congrès en 2010.

« Il ne faut pas seulement penser le BBB en termes de groupement religieux, il faut surtout les penser comme un groupement conservateur […] ils vont s’allier sur des politiques qui ne le concernent pas forcément, dans une volonté d’échange. Si l’un soutient la mesure contre les pesticides de l’autre, l’autre le soutiendra lors de sa proposition de loi sur les valeurs de la famille traditionnelle par exemple. » tient à souligner Christian Frank, analyste Amérique Latine au GEG de l’ENS.

Au 1er Janvier 2019, jour de l’investiture de Jair Bolsonaro le ministère des droits de l’Homme changera de nom pour devenir le ministère de la femme, de « la famille » et des droits de l’Homme. A sa tête ? Un pasteur évangélique du nom de Damares Alves. Il est évident que ce changement ne sera pas sans influence sur les futures politiques publiques du pays.

Des postes clés occupés par des évangélistes

Pour porter ces valeurs, de plus en plus de poste clés de la sphère politique sont occupés par des évangéliques. Hormis la future ministre de la femme de la famille et des droits de l’homme Damares Alves, on peut également compter le très controversé Marcelo Crivella, ancien évêque de l’Eglise Universelle du Royaume de Dieu, élu maire de Rio de Janeiro en 2017. En termes de politique municipale, il avait délibérément réduit le financement de la Gay Pride et du carnaval qu’il qualifiait de fêtes « sataniques ».

Du côté du pouvoir législatif, 90 députés sur 513 sont évangéliques et 3 sénateurs sur 81. Ce phénomène tend à voir apparaitre des politiques de plus en plus obscurantistes. Les sessions du congrès sont déjà interrompues par des messes et on ne peut plus heurter une loi qui touchent aux droits divins. Avec l’arrivée de Bolsonaro au pouvoir, l’agenda politique tend à s’orienter vers des politiques en concordance avec les valeurs traditionnelles défendues par les lobbies évangéliques.

Une véritable présence évangélique se fait ressentir dans les sphères centrales de l’Etat. Au sein des commissions permanentes du congrès, les députés évangéliques traitent des questions de communication, des programme sociaux et de participation aux programmes publics directement. L’objectif étant ici de diffuser une propagande religieuse et d’agir comme un intermédiaire des services de l’Etat.

Diminuer les politiques publiques est en soi une politique publique

Paradoxalement, le lobby évangélique notamment par le biais des différentes églises, ou des blocs parlementaires se veulent pour une intervention moindre de l’Etat. Initialement les églises catholiques préféraient agir en parallèle de l’action de l’Etat. Ici, les églises évangéliques préfèrent gérer les problèmes elles-mêmes de façon autonome, sans passer forcément par le biais de l’Etat. Ils désirent moins de politiques publiques, et sont ainsi contre un certain nombre de politiques publiques. Ici, nous pouvons citer l’exemple de Crackolandia, un quartier de Sao Paulo ravagé par une épidémie de consommation de crack. Initialement accompagné par un certain nombre de mesures d’assistances sociales, d’accompagnement contre la drogue menées notamment par l’ancien maire de la ville et récent candidat aux élections présidentielles Fernando Haddad, la réalité est devenue toute autre depuis l’abandon partiel de ces mesures. La Mission Evangélique de la Crackolandia d’aide aux toxicomanes s’occupe désormais des addicts au crack et estiment que leurs propres programmes sociaux sont utiles.

« Le lobby évangélique veut restreindre la place de l’Etat, pour que les églises aient davantage d’influence, et pourquoi pas essayer de prendre sa place… » nous explique Christian Frank, analyste Amérique Latine du GEG de l’ENS.

Article rédigé par Sarah Aissaoui
Références :

OUALALOU, Lamia, Jésus t’aime. Editions du cerf. 2018.

RICHARD MARIN, « La Bible au Congrès. Pentecôtisme et politique au Brésil (1986-2016) », Caravelle, 108 | 2017, 65-82. Université de Toulouse.

CARDONA, François. Où va le Brésil ? 2016, disponible sur RFI.

GOMES, Bruno. « Les évangéliques au Brésil : stratégies territoriales et participation politique », Hérodote, vol. no119, no. 4, 2005, pp. 49-74.

JESUINO, Angela. « Ce que peut nous apprendre la situation de la psychanalyse au Brésil », Outre-Terre, vol. 42, no. 1, 2015, pp. 321-323.

MOURIER, Eliott. « Les Partenariats Public-Religieux. Action sociale religieuse et reconfiguration du rapport entre État et Églises dans le Brésil du XXIe siècle. » Science politique. Université de la Sorbonne nouvelle – Paris III, 2013. Français.

ANTONIAZZI, Alberto. « Brésil – II – La diversité des églises évangéliques » 2005. Dial. Alterinfos. http://www.alterinfos.org/spip.php?article898

BASTIAN, Jean-Pierre. « Pentecôtisme, clientélisme et pratiques politiques au Brésil. » 2018. Science Po.

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