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Lobbying et répertoire d’actions en temps de campagne présidentielle

Dans le travail d’influence effectué par les lobbys, la recherche du “bon interlocuteur” est cruciale. Elle n’est en revanche pas le seul déterminant d’une action de lobbying efficace et suffisamment percutante. Faut-il encore cibler ce “bon interlocuteur” à bon escient. Le moment de la campagne présidentielle est ainsi un bel exemple des moments clés d’une campagne de lobbying. C’est un “temps fort” de la vie politique que les lobbys investissent plus ou moins intensément par les répertoires d’actions qu’ils mobilisent, c’est-à-dire un ensemble d’actions plus ou moins ciblées leur permettant de faire valoir leurs intérêts et revendications et les porter dans le débat politique. 

Une « fenêtre d’opportunité » pour faire valoir des intérêts particuliers ?

La campagne présidentielle est communément présentée -et l’ensemble des articles recueillis tendent à le confirmer- comme un moment « d’effervescence » dans le travail des groupes d’intérêts, qui tendent à se mobiliser tout particulièrement en temps de campagne électorale pour faire valoir leurs intérêts. Toutefois cette apparente effervescence varie, en vérité, d’un groupe d’intérêt à l’autre, selon notamment la nature des groupes d’intérêts considérés et les causes et/ou intérêts portés et défendus par ces mêmes groupes. Ainsi, G. Courty et J. Gervais analysent de manière typologique le degré d’investissement de la campagne par les différents groupes d’intérêts en fonction de la forme qu’ils prennent. Les associations semblent en ce sens se mobiliser davantage lors des campagnes présidentielles, cela dépendant encore des causes et des revendications qu’elles portent.  

Plus encore, les deux auteurs montrent comment la campagne présidentielle est pour certains groupes moins un moment privilégié pour porter dans le débat politique la défense de leurs intérêts qu’un moment important pour investir le champ politique et ainsi se légitimer auprès des acteurs politiques. Autrement dit, dans un tel cadre, la campagne présidentielle est avant tout pour certains groupes, en particulier ceux les plus éloignés du champ politique, le moyen d’entreprendre un processus de légitimation. Ce moment politique est donc clé en ce qu’il s’inscrit dans une action de lobbying envisagée sur le long terme, qui passe par la nécessaire coopération avec les acteurs politiques. De la même façon, L. Morabito tend à démontrer dans son analyse qu’au-delà de la pression exercée sur les candidats à l’élection présidentielle, les associations féministes, LGBT et de lutte contre le sida contribuent in fine, par le « corpus d’interpellations » qu’elles mobilisent, à polariser le champ politique et cela parce qu’elles cherchent davantage à saisir la campagne présidentielle comme un moyen d’inscrire leurs revendications dans un processus de politisation. Les interpellations qu’elles réalisent non seulement ont pour objectif de publiciser leurs revendications et d’inviter les candidats à se positionner dessus, mais en plus, elles participent à la production des enjeux électoraux (C.Courty, J.Gervais, 2016) en ce que les causes qu’elles défendent deviennent de véritables enjeux politiques, qui dépassent alors le temps ponctuel de la campagne présidentielle. 

De la diversité des actions réalisées par les lobbys en temps de campagne ?

Selon les objectifs visés, les formes d’actions entreprises ne seront pas les mêmes. Les trois articles de presse mobilisés, renvoyant chacun à une élection présidentielle différente, balaient ainsi différents modes d’actions mobilisés par les “lobbys en campagne”.  

Des actions pour interpeller les candidats 

Il est ainsi intéressant de voir la diversité des actions réalisées par les lobbys. Toutefois, cet apparent panel d’actions variées, qui rend aussi compte de l’hétérogénéité de ces lobbys et de leurs modes différenciés d’investissement du champ politique (G. COURTY, J. GERVAIS) répondent malgré tout à des formes d’interpellations relativement communes, l’objectif étant d’atteindre le plus directement possible les candidats par la production de contacts et d’interactions avec eux et leurs entourages. 

Ainsi, Carole Ferry semble démontrer que la finalité des lobbys est bien de parvenir à être reçus par les candidats. Elle prend l’exemple « réussi » de l’association des « Paralysés de France » qui a fait appel à une agence de communication afin de réaliser une action originale auprès des candidats, consistant à se rendre au domicile des candidats, en smart avec des fauteuils roulants sur le toit de chaque voiture, ce qui leur a ainsi permis selon elle de rencontrer directement les candidats. Finalement, on voit là un bel exemple d’une succession d’actions réalisées-le recours à un cabinet de conseil, la provocation, la rencontre des candidats-qui peuvent constituer un répertoire d’actions, dont l’objectif semble bien d’interpeller les différents candidats et cela à différents degrés. 

De la même façon, il ressort de l’élection de 2007, qui marque les débuts du recours massif à internet et aux nouvelles technologies comme support de campagne, que l’apparente diversité des façons d’investir la campagne traduit une dynamique commune, celle d’influencer les programmes des candidats. Dans l’article de La Dépêche il est notamment analysé la capacité des lobbys à effectivement influencer les programmes des candidats. L’auteur évoque ainsi l’« effet Hulot » pour traduire la façon avec laquelle certains lobbys se sont inspirés du « pacte écologique » de Nicolas Hulot, qui a eu pour effet d’introduire le thème de l’environnement dans la campagne présidentielle de 2007. Cet article est alors doublement intéressant. D’une part, il y est mis en évidence une forme de mimétisme dans les pratiques de lobbying avec la réappropriation par certains groupes de certains modes d’action, à l’image de ce fameux « pacte écologique », qui a été décliné sous différentes formes, autour d’autres thématiques. D’autre part, l’auteur met en avant la structuration croissante des groupes d’intérêts, qui s’appuient justement sur des actions d’autant plus ciblées et minutieusement choisies qu’ils cherchent à influencer le débat politique, et plus encore orienter la décision politique. 

La détention d’une expertise comme moyen d’action pertinent 

Aussi, dans certains cas, l’action du lobbyiste peut dépasser la simple recherche d’interpellation du candidat. L’investissement du lobbyiste en campagne électorale ne se limite pas alors à la recherche d’une interaction entre un candidat acteur et un lobbyiste défendant les intérêts de son secteur. L’exemple de la nomination d’Audrey Bourolleau, lobbyiste en chef de la filière viticole française comme responsable du groupe de campagne consacré aux questions d’agriculture et d’alimentation du candidat Emmanuel Macron, montre une faible séparation entre le politique et le lobbying dans ses modalités d’actions. En intégrant directement le cercle restreint qu’est l’équipe de campagne du candidat, cette lobbyiste réalise une action de lobbying en interne, ce qui lui permet d’autant plus de peser sur et d’orienter le discours et les positions du candidat, en disposant d’un champ d’influence remarquablement direct et libre. Les propositions apparaissant dans le programme du candidat peuvent en effet être contrôlées par la lobbyiste. Enfin, autre point non négligeable, la lobbyiste peut dans un tel cadre se voir promettre un potentiel poste dans l’exécutif lors de la prochaine mandature pour appliquer la politique défendue lors de la campagne présidentielle. Audrey Bourolleau avait d’ailleurs été déjà désignée conseillère agriculture, pêche, forêt et développement rural à l’Élysée après la victoire d’Emmanuel Macron en 2017. 

D’autres groupes d’intérêts vont jouer également de leur expertise pour influencer la campagne présidentielle, mais de façons différentes. Aussi, au-delà de l’influence que peuvent exercer les lobbies sur les candidats, certains groupes d’intérêts cherchent également et avant tout à agir directement auprès des électeurs, à l’instar de l’association Shift Project. Cette dernière a en effet procédé à la publication de rapports publics concernant les propositions des candidats qu’elle a notées selon ses attentes. Plus encore, cette démarche consiste surtout à sensibiliser l’électeur et l’éclairer sur les propositions des candidats, chacune de ces propositions étant comparée aux objectifs et propositions portés par l’association, qui se pose ainsi en experte en matière d’écologie en produisant ce rapport et notant chaque proposition des candidats selon le degré de satisfaction évalué. Ces rapports ludiques sont ensuite relayés dans les médias dans un double intérêt, profiter de ce moment clé l’agenda politique qu’est la campagne présidentielle pour publiciser des revendications, mais aussi permettre ou non à des candidats de récupérer des électeurs grâce à un avis d’experts adressé aux citoyens. Mais en fait, dans un tel cas, l’enjeu reste bien de peser sur les programmes électoraux, en évaluant, par l’intermédiaire des électeurs et la mise en avant d’une certaine expertise, la pertinence et la légitimé des propositions des candidats. 

En somme, ce qui émerge de l’ensemble des articles, c’est bien qu’en dépit des natures différentes des groupes d’intérêts et des causes différentes qu’ils soutiennent, ainsi que de leurs objectifs réels, les moyens mobilisés varient certes, mais semblent appartenir à un même répertoire d’action, qui pourrait être caractéristique du lobbying en temps de campagne présidentielle et qui s’apparenterait au modèle théorique pluraliste de Franck Wilson. Chaque groupe emprunte à ce même répertoire d’actions de façon différenciée, pour s’en approprier, et se structure ainsi autour des actions menées au regard des objectifs visés, bien que la dynamique soit globalement la même : influencer plus ou moins indirectement et plus ou moins intensément le débat politique. 

L’exemple des chasseurs : un répertoire d’action reposant sur la volonté de protéger la pratique traditionnelle de la chasse.

Le lobby des chasseurs est particulièrement exemplaire de l’importance de la structuration autour d’actions ciblées pour peser dans le débat politique, et plus exactement le débat présidentiel. La Fédération nationale des chasseurs (FNC) est en effet largement engagée dans l’actuelle élection présidentielle, notamment parce que la pratique de la chasse est de plus en plus remise en question face à la place grandissante que prennent les questions relatives à la défense de l’environnement et de la cause animale dans le débat politique. Les différents candidats ont été amenés à se prononcer sur la question de la chasse, au regard notamment de différents faits d’accidents de chasse survenus ces derniers mois, qui accentuent la critique formulée à l’encontre des chasseurs. L’enjeu pour le lobby des chasseurs est donc, dans le cadre de cette campagne, particulièrement explicite : il s’agit pour eux d’installer un rapport de force pour protéger leur pratique, alors qu’elle est décriée, y compris par certains candidats à l’élection présidentielle. 

Ainsi, les chasseurs ont, là aussi, mis en œuvre différentes formes d’interpellations des candidats, en entreprenant d’abord un tour de France des élus. Ils sont par ailleurs exemplaires d’une nouvelle pratique des groupes d’intérêts, empruntée des médias : le grand oral. Ce grand oral prend la forme d’un entretien durant lequel chaque candidat à l’élection présidentielle va défendre, face à son auditoire, ses propositions et ses positions sur la thématique abordée, en l’occurrence la chasse. Mais elle est en fait avant tout un moyen pour le groupe d’intérêt de sonder les candidats interrogés, pour influencer les programmes et mettre à l’agenda politique les intérêts qu’il défend. Cette pratique est d’autant plus intéressante qu’elle incite de façon plus ou moins insidieuse les candidats, tous soucieux de susciter le maximum d’adhésion à leur projet respectif, à se prononcer plus ou moins en faveur des intérêts portés par de tels groupes d’intérêts, qui jouissent d’une certaine influence dans le débat public. Aussi, le président de la FNC a attendu la tenue de ce grand oral pour déclarer le candidat pour lequel il votera le 10 avril prochain., cela sans doute pour démontrer combien la FNC peut peser dans l’élection présidentielle.  

On peut alors conclure cette note à partir du cas des chasseurs. Leur exemple montre combien, selon l’enjeu que représente la campagne présidentielle pour un groupe d’intérêts, la mobilisation de tel ou tel type d’actions est décisive, car elle va contribuer à faire plus ou moins peser les revendications et sollicitations du groupe dans le débat politique. Mais il montre aussi que les actions entreprises par les lobbys empruntent à des pratiques plus ou moins formelles et classiques, comme le suggèrent G. Courty et J. Gervais, et dont se réapproprient les groupes d’intérêts en fonction des thématiques qui les caractérisent et des effets escomptés de leur investissement de la campagne présidentielle. Les chasseurs s’appuient en ce sens sur la mise en scène d’une certaine expertise pour démonter le poids qu’ils peuvent représenter dans une campagne présidentielle, et même en être des acteurs incontournables.  

Clément Nagalingam et Joëlle Monville-Letu 

Références

COURTY Guillaume (dir.) ; GERVAIS Julie (dir.). Le lobbying électoral : Groupes en campagne présidentielle (2012).Nouvelle édition [en ligne]. Villeneuve d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion, 2016 (généré le 05 avril 2022). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/septentrion/21154>. ISBN : 9782757417935. DOI : https://doi.org/10.4000/books.septentrion.21154

COURTY Guillaume, “Les lobbys en campagne: que donnent-ils ? Que reçoivent-ils ? Que demandent-ils ?”, Edition Sociologie politique des élections, Le club de Médiapart, 2012. 

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