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Sécurité : les leçons d’Istanbul

Fabrice Hamelin, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

Les aéroports sont les infrastructures de transport pour lesquelles les dispositifs de sécurité sont les plus visibles et les plus contraignants. Ce sont aussi celles pour lesquelles les réflexions sur leur protection ont été le plus poussées. Le XXe siècle en a fait des cibles privilégiées pour les attentats terroristes. Le début du XXIe siècle s’inscrit dans la continuité. La menace est donc bien identifiée et a été intégrée dans la conception et l’organisation du transport aérien. La lutte antiterroriste a ainsi conduit à un contrôle accru des voyageurs et des bagages tant par le recours aux nouvelles technologies, le déploiement de services de sécurité qu’à l’organisation même des flux.

À l’aéroport international d’Istanbul, les attentats-suicides ont été commis avant les points de franchissement des barrières de filtrage et de contrôle. De ce point de vue, ils présentent des similarités avec l’attaque de celui de Bruxelles-Zaventem. Mais l’opération se déroule dans un pays où la menace terroriste s’est installée et où un attentat n’est plus considéré comme un évènement exceptionnel.

En Turquie, depuis 2015, une cinquantaine d’attentats ont en effet causé au moins deux cents morts. Celui-ci, le plus grave, permet de faire ressortir des points essentiels pour la compréhension de la lutte contre la menace terroriste, aujourd’hui : la singulière vulnérabilité des infrastructures de transport, les visées stratégiques des terroristes et les différents échelons de la lutte contre le terrorisme.

La vulnérabilité des infrastructures de transport

Dans la soirée du 28 juin, l’aéroport international d’Istanbul est la cible d’un attentat suicide. Il fait plusieurs dizaines de tués et plusieurs centaines de blessés. Ces résultats sont le produit de l’action de trois individus, armés de fusils mitrailleurs. Ils ouvrent le feu dans les halls de départ et d’arrivée de l’aéroport avant d’actionner leurs charges d’explosifs.

Les vols momentanément suspendus reprennent quelques heures après. Malgré le nombre des victimes et l’importance des dégâts matériels, la machine est ainsi capable de repartir presque instantanément. À la volonté des terroristes d’arrêter le cours normal des choses répond le souci du redémarrage de l’activité interrompue. La résilience des dispositifs et la reprise rapide des flux se veulent ainsi une réponse aux perturbations produites par l’attentat.

A Bruxelles (avril 2016), au lendemain des attentats.
Antonio Ponte/Flickr, CC BY-NC-SA

À travers cet énoncé factuel, on perçoit la résilience mais aussi toute la vulnérabilité de ce type d’infrastructures. La préparation logistique d’une telle action peut exiger la mobilisation de soutiens non négligeables. Pour autant, un aéroport international peut être attaqué avec de faibles moyens et l’impact de l’attaque a toutes les chances d’être démultiplié.

Cela tient à la forte densité de personnes réunies dans les halls et au peu de doute qui pèse sur le degré de fréquentation du lieu. La continuité et la précision horaire des activités déployées et la faible variabilité des flux assurent les terroristes de l’impact qu’auront leurs actes. En prenant pour cible une population non discriminée et étrangère au conflit dans lequel ils entendent inscrire leur action, les terroristes savent que celle-ci a toutes les chances de bouleverser l’opinion publique. Le traumatisme peut ainsi s’étendre à une population bien plus large que les victimes immédiates. On touche ici aux visées stratégiques de l’action terroriste.

Les visées stratégiques de l’acte terroriste

Un groupe peut considérer que le recours à la violence la plus extrême pour susciter l’effroi fait partie de son répertoire d’action politique. Que le plan programmé n’ait finalement pu être mis en place n’y change rien. Les barrières de contrôle ont pu se révéler infranchissables ou les terroristes, repérés trop tôt, ont été contraints au déclenchement prématuré de l’attaque. Les visées stratégiques tiennent moins au modus operandi qu’aux particularités de la cible choisie. Ce sont ici l’accessibilité, la fréquentation et la relative simplicité du passage à l’acte en comparaison des effets escomptés.

Au-delà des caractéristiques propres aux infrastructures de transport, il convient aussi de tenir compte de l’importance économique de la cible. Dans le cas de l’aéroport Atatürk, elle est liée à la menace que le terrorisme fait peser sur le tourisme en Turquie et tout particulièrement en ce début de période estivale. Les conséquences que les attentats et menaces terroristes ont pu avoir dans d’autres pays, comme l’Égypte ou la Tunisie, en confirment l’importance.

Impact de balle à l’aéroport Atatürk d’Istanbul.
Ozan Kose/AFP

En plus du manque à gagner dans le secteur et des menaces qui pèsent sur le bien-être économique des populations vivant plus ou moins directement du tourisme, on peut ajouter les coûts financiers pour les autorités concernées. Il suffit de songer aux compensations financières qui pourraient être attribuées aux populations touchées par une désaffection massive des touristes dans les lieux de villégiature menacés ou plus directement au coût des investissements de sécurité auxquels ce type de menace contraint les pouvoirs publics et les opérateurs de transport.

Par ailleurs, les solutions technologiques et organisationnelles existantes – barrières de sécurité, détecteurs de métaux, caméras de vidéosurveillance, etc. – ont un coût. Enfin, cette lecture stratégique des actions terroristes au regard de leurs conséquences se trouve confortée par les réactions des autorités dénonçant une tentative de « déstabilisation politique » du pays ou s’étonnant de l’absence de revendication de l’attentat par un groupe criminel organisé.

Les différents échelons de la lutte antiterroriste

Une autre dimension mise en évidence par l’attentat suicide d’Istanbul est que son impact dépasse de beaucoup la seule Turquie, ses menaces pour la stabilité politique du pays et l’économie du tourisme. On est ici loin de l’assassinat d’agents des forces de l’ordre à leur domicile ou même d’une fusillade ciblée dans une boîte de nuit.

Dans un contexte d’interconnexion croissante liée aux nouvelles technologies et à la libéralisation des circulations, l’aéroport Atatürk est une porte ouverte sur le reste du monde. On comprend ainsi plus aisément les appels immédiatement lancés à une lutte commune à mener sur toute la planète. Cela renvoie d’ailleurs à l’idée largement admise que la réussite ou l’échec de l’action publique dans ce domaine dépend d’abord de la qualité du travail de renseignement et donc des échanges d’informations et collaborations entre services et autorités de différents pays.

Patrouilles renforcées à l’aéroport de La Guardia (New York) après l’attentat d’Istanbul.
Drew Angerer/GETTY IMAGES NORTH AMERICA/AFP

Dans ce contexte de mondialisation, on comprend cependant aussi le rejet immédiat, par les autorités, de toute idée de défaillance des mesures locales de sécurité. Après tout, la ministre belge des Transports a été poussée à la démission au lendemain des attentats de Bruxelles, accusée de ne pas avoir tenu compte des avertissements de ses services sur les failles dans la sûreté des aéroports du pays.

Les messages immédiatement envoyés par les autorités turques s’adressent alors tout autant à la population qu’aux pays partenaires et à l’opinion publique internationale. À cette anticipation d’éventuelles critiques s’ajoute la mise en avant, dans les médias, du rôle joué par les policiers en faction à l’entrée de l’aéroport pour déjouer les plans des terroristes. Il en est de même du rôle attribué dans la gestion post-attentat aux services de sécurité dont on souligne, par exemple, le rôle dans l’évacuation des victimes. Les acteurs de la sûreté dans les infrastructures de transport, ce sont aussi et prioritairement les professionnels de la sécurité publique présents sur le terrain.

The Conversation

Fabrice Hamelin, Enseignant-Chercheur en science politique, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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