Dans l’article qui suit, nous nous intéressons à la réponse des pouvoirs publics au problème politique que représente l’intégration de la minorité Rrom. Nous montrons comment la mise en œuvre effective s’opère en contradiction avec les volontés nationales et supranationales, mettant ainsi en lumière un problème récurrent: la difficulté des pouvoirs publics à répondre aux problèmes sociaux.
Dans le même dossier : Le problème de l’intégration des Rroms en France : un processus d’exclusion générale
Une tentative de prise en compte du problème de l’intégration des populations Rroms
Le cadre de l’UE pour l’intégration des Rroms
Depuis 2011, au sein de l’Union Européenne, la question des Rroms a pris une nouvelle dimension avec le « Cadre de l’Union Européenne pour les stratégies nationales d’Intégration des Rroms allant jusqu’à 2020 »[1]. La Commission Européenne a invité tous les États membres à présenter leurs stratégies pour l’inclusion des Rroms, c’est-à-dire les mesures spécifiques proposées au sein de leurs politiques d’intégration globales. Deux ans après, grâce à la coordination de toutes les propositions, le Conseil de l’Union européenne a recommandé aux États membres de mettre en place une série de mesures stratégiques [2] :
1. Politiques principales ; éducation, emploi, santé, logement et allocation.
2. Politiques horizontales ; lutte contre la discrimination, protection aux enfants et femmes roms, réduction de la pauvreté à travers l’insertion social.
3. Mesures structurelles ; action locale, contrôle et évaluation des politiques, corps pour la promotion de traitement égal, Points de Contact nationaux pour intégration Rom, coopération transnationale.
La Commission Européenne a recommandé aux États membres “de respecter leur engagement de garantir l’égalité et de redoubler d’efforts en vue d’une meilleure intégration économique et sociale des 10 à 12 millions de roms en Europe”[3]
L’Union Européenne a alloué à chaque pays un budget spécifique de financement de programmes visant à l’intégration des populations marginalisées et plus particulièrement les Rroms. Celui-ci provient du Fonds Social Européen (FSE), du Fonds Européen du Développement Régional (FEDER) et du Fonds Européen Agricole pour le Développement Rural (FEADER). Le financement se réalise en gestion partagée – gérée conjointement par l’UE et les États membres, ou bien en gestion directe – gérée directement par la Commission Européenne. La répartition de ce financement varie selon les pays. Par exemple, au cours de la période 2007-2013, la France (qui a une population de Rroms correspondant au 0.21% de sa population total) a reçu 13.4 milliards d’euros dans le cadre du FEDER et du FSE et 6.4 milliards d’euros supplémentaires du FEADER, alors que l’Allemagne (avec une population de Rroms correspondant au 0.13% de sa population total) a été dotée de 26.3 milliards d’euros par le FEDER et le FSE, et 8.1 milliards d’euros supplémentaires par le FEADER.
La position française
L’article premier de la Constitution du 4 octobre 1958, énonce que la République assure l’égalité devant la loi sans distinction d’origine, de race ou de religion. Dans ce cadre, la France reconnaît l’importance d’élaborer des mesures destinées à faciliter l’accès des populations Rroms aux politiques de droit commun, en particulier dans les domaines de l’éducation, de l’emploi, de la santé et du logement de façon à éradiquer progressivement la pauvreté et l’exclusion des Rroms.
L’existence d’un cadre juridique propre aux “gens du voyage” est relativement ancienne. Bien que depuis le début de leur présence en France, la plupart des lois soient destinées à leur discrimination et même leur expulsion, on observe depuis les années 1970 un adoucissement dans l’élaboration des mesures leur étant destinées.
Avec la création du Haut Conseil à l’Intégration et la loi Besson (1990) obligeant les communes de plus de 5000 habitants à la construction d’une aire destinée à accueillir les gens de voyage, on peut noter une volonté de prise en compte de ces populations de la part de l’État. Par ailleurs, la première priorité de la stratégie d’intégration et de lutte contre la pauvreté est la scolarisation des enfants. Effectivement, la France considère que la base d’une meilleure inclusion sociale est l’éducation, c’est pourquoi elle met en place des mesures expérimentales destinées aux Rroms.
Ces actions sont basées sur quatre axes :
1. Faire de la maîtrise des savoirs fondamentaux une priorité absolue à travers un plan de prévention de l’illettrisme
2. Un accompagnement personnalisé tout au long de la scolarité
3. Mobiliser les dispositifs de lutte contre le décrochage scolaire grâce à des plateformes de suivi et d’appui
4. Octroyer des bourses et aides financières.
Il existe également des mesures prises dans le secteur du logement (villages d’insertion), de l’emploi (projet Andatu, formation et cours de langue) et de la santé, pour lesquels le gouvernement s’est engagé à réduire les obstacles financiers entravant l’accès aux soins.
Malgré cette prise en compte, la discrimination reste présente à tous les niveaux et jusque dans la loi. Ainsi, une taxe d’habitation sur les résidences mobiles a été votée le 22 novembre 2005, bien que la caravane ne soit pas reconnue comme une habitation et ne donne pas droit aux aides au logement.
La mise en œuvre des politiques publiques d’intégration des populations Rroms : entre non efficacité et non effectivité
L’instrumentalisation des politiques publiques d’intégration envers les Rroms
« L’instrument matérialise les intentions, et souvent permet de distinguer plus précisément ce qui relève d’une véritable innovation, d’un recyclage ou d’une demi-mesure ».[4] L’État instrumentalise des représentations déjà existantes et la peur liée à des faits divers scandaleux très médiatisés pour justifier une politique stricte de l’immigration, notamment par rapport aux Rroms. L’État fait le choix de l’expulsion malgré les fonds octroyés par l’Union Européenne, le justifiant par sa situation financière, à tel point que la France fait figure de « championne d’Europe »[5] des expulsions de Rroms : 300 sont expulsés en France chaque semaine en 2014. Entre les politiques d’aide au retour et d’expulsion, on assiste à un consensus entre la droite et la gauche sur la volonté de ne pas intégrer les Rroms ; cela s’explique par le double-processus de médiatisation-politisation des problèmes sociaux. Effectivement, les politiques sont dans une quête de visibilité, soucieux de se montrer occupés à affronter résolument le problème de cette minorité. La problématique « Rrom » n’existe d’ailleurs pas en dehors du processus de qualification construit dans la presse et par les politiques elles-mêmes. Cette instrumentalisation s’explique également par un gouvernement soucieux de ne pas être accusé de laxisme face à un supposé péril Rrom.
Il faut rappeler également que le manque d’efficacité ou d’effectivité des politiques est à appréhender dans un contexte de crise de l’intégration républicaine. Plusieurs auteurs montrent qu’il est temps de « refonder l’intégration », sur le contrat social pour Jacqueline Costa-Lascoux [6]. Pour que l’intégration s’opère effectivement en France, il s’agirait d’en comprendre l’enjeu politique (Costa- Lascoux 2011) et de la refonder sur cinq piliers que sont les politiques compensatoires des inégalités, les politiques incitatives en direction des plus défavorisés, les politiques de luttes contre les discriminations, les politiques participatives à la vie de la cité et l’accès à la citoyenneté. Pour Mirna Safi [7], si la refondation a commencé avec le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, elle a échoué du fait qu’elle soit basée sur une approche sécuritaire, normative et éloignée des connaissances.
L’inefficacité et L’ineffectivité des politiques d’intégration envers les Roms
Le « gap » entre la volonté exprimée et la mise en œuvre des politiques publiques au niveau local traduit souvent l’incapacité des pouvoirs publics à résoudre les problèmes sociaux. Plusieurs auteurs [8] expliquent cette différence par le pouvoir des « ordres locaux ». Ceux-ci désignent les administrateurs locaux, les fonctionnaires de terrain, qui agissent selon leurs propres règles et logiques. On peut utiliser cette approche dans le cas des Rroms en montrant le manque de rationalité auquel peuvent être confrontées les populations Rroms voulant s’intégrer. Aussi, lorsque les familles ont l’opportunité de scolariser leurs enfants, elles doivent fournir un justificatif de domicile, un acte de naissance, ou d’autres papiers administratifs qu’elles ne sont pas en mesure de présenter. De plus, dans beaucoup de cas, l’enfant est placé dans un établissement scolaire éloigné de leur lieu de vie, or les transports en commun étant chers et les parents n’ayant pas dans la plupart de cas de voiture, la scolarisation devient alors difficile. Ce sont les effets pervers d’une organisation locale régulée par ses propres lois, marquée par un manque de rationalité et d’adaptation aux situations singulières.
Les politiques d’intégration des communautés Roms, au-delà d’être inefficaces, sont, dans beaucoup de cas, ineffectives. En effet, au niveau européen, la France répond avec une augmentation des expulsions, aux antipodes des valeurs qu’elle défend. Pourtant, le choix de l’expulsion systématique revient beaucoup plus cher que la coordination des différents acteurs qui serait la solution pour une intégration effective [9]. Les politiques d’expulsion sont devenues le choix premier des politiques publiques d’intégration des communautés Rroms du fait de la volonté de l’État de montrer qu’elle agit pour résoudre le problème, et ainsi satisfaire l’opinion publique et un électorat, très réticent et stigmatisant vis à vis de ces populations.
Le rôle prépondérant de la société civile
A côté des actions de l’Union Européenne, des États et des collectivités territoriales, le rôle des associations ne peut être négligé dans la lutte contre l’exclusion des Rroms. Une part non négligeable de la population se bat pour le lien social et à en croire les chiffres, ces personnes-là ont de plus en plus de voix. En 2013, 19% de la population française est consciente des discriminations dont sont victimes les communautés Rroms, six points de plus qu’en 2003. Ce sont souvent des acteurs qui vivent à côté de campements Rroms qui agissent pour l’intégration de ces derniers, conformément à la « loi de proximité ». Leurs outils d’intégration sont l’éducation, l’insertion professionnelle et le logement. Cependant, des tensions existent entre le monde associatif et les pouvoirs publics. Accusant le gouvernement de laxisme voire même de participer à l’aggravation de la marginalisation de cette communauté, les acteurs du « tiers secteur » agissent, afin de répondre à ce qu’ils appellent une « urgence humanitaire », en fournissant de la nourriture, des couvertures et un accès minimal aux soins.
Les formes de solidarité locales, bien que limitées par rapport aux capacités d’actions du politique, n’en sont pas moins inventives[10]. La société civile, mobilisée solidairement envers les populations marginalisées, dénonce les excès institutionnels, s’appuie sur des collaborations avec les institutions telles que les écoles. Le « tiers secteur » est en effet le seul acteur permettant le dialogue entre les populations opprimées et les institutions. Dans la perspective d’un « vivre ensemble » dans la cité, ces mêmes acteurs agissent comme vecteur de solidarité en prenant la parole au nom des communautés Rroms mais également en leur donnant la parole pour revendiquer leurs droits.
Ainsi, cette voix tend de plus en plus à se faire entendre par les institutions et si un virement de situation s’opère, cela se fera en grande partie grâce à elle.
Finalement, l’intégration des Rroms en France est plus qu’en crise malgré la volonté européenne et l’action d’une partie de la société civile. Pour que les politiques publiques d’intégration des communautés Rroms s’effectuent réellement, il s’agit de mettre en place des mesures non stigmatisantes qui appellent au dialogue et à la coordination de tous les acteurs locaux. Mais surtout, l’intégration des communautés Rroms ne pourra pas être pleinement effective tant que le concept d’intégration ne sera pas réformé, laissant de côté son caractère normatif et sécuritaire.
Coécrit par Chloé Duffy, Monica Rosas et Salomé Mimouni