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Les politiques de diversité. Antidote à l’intolérance et à la radicalisation

Cet ouvrage, écrit par Serge Guimond, publié en 2019, constitue une synthèse des connaissances sur les effets des politiques de diversité sur les individus. Serge Guimond, Québécois d’origine et citoyen français, doctorant en psychologie sociale, a été diplômé de l’Université de Montréal, McGill et Paris X. Après plusieurs années comme professeur au département de psychologie dans diverses universités, il est devenu professeur de psychologie
sociale expérimentale à l’Université Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. Il dirige également le laboratoire CNRS de psychologie sociale et cognitive de 2011 à 2015. En raison du développement des recherches et des projets dans le domaine des sciences sociales sur les politiques de diversité, ainsi que le progrès des connaissances en découlant, l’auteur évoque la possibilité d’arriver à des recommandations pour les États. Comme évoqué précédemment, ce livre est la première synthèse d’ampleur concentrant les recherches sur les impacts des politiques de diversité mises en œuvre par les États européens et nord américains. Il y mobilise ses propres recherches effectuées, soit individuellement, soit en collaboration avec d’autres chercheurs, mais aussi des recherches d’autres auteurs renommés de ce domaine. Par ailleurs, cet ouvrage, le troisième de l’auteur, s’inscrit dans la continuité du précédent portant sur la perspective multiculturelle, ainsi que dans celle de ses nombreuses recherches. Contrairement à ce que son titre et sa quatrième de couverture suggèrent, ce livre ne porte pas sur la radicalisation, mais sur l’analyse de trois politiques de diversité, l’assimilation, l’universalisme républicain et le multiculturalisme, ainsi que celle de l’interculturalisme émanant de cette dernière.
La synthèse et l’analyse des recherches, effectuées par l’auteur, tournent autour de trois questions centrales : la première est celle de l’influence des politiques de diversité sur les pensées et les réactions des individus face à la diversité ; la seconde est celle de
l’encouragement, par les politiques, de relations harmonieuses entre les groupes et les individus, et la troisième est celle de l’encouragement, par les politiques, de conflits entre les individus et les groupes.

L’assimilation, suivre les règles ou partir
La question de l’assimilation, politique de diversité visant à la réduire ou à l’éliminer dans l’objectif de construire une société homogène, est traitée dans le chapitre 2 de l’ouvrage. Pour l’auteur, la politique d’assimilation ne passe pas le test minimal d’acceptation, qu’il a mis en place et qui consiste à étudier si la politique de diversité est associée à une augmentation des
préjugés. Il appuie cela à l’aide de deux idées.
Tout d’abord, l’auteur développe la thèse, selon laquelle, la mise en place d’une politique assimilationniste crée une norme favorable à l’assimilation, ce qui influe sur les attitudes personnelles et augmente les préjugés. Sa validité est démontrée par une recherche1, menée par lui-même et ses collaborateurs en 2013, mesurant la perception de la norme nationale et les attitudes personnelles envers l’assimilation. Les résultats montrent que les étudiants allemands, vivant dans un pays pratiquant l’assimilation, n’y sont pas plus favorables que les étudiants des autres pays. Cela permet à l’auteur d’avancer que la politique d’un pays n’influe pas directement sur les attitudes personnelles. En effet, la politique d’un pays crée et modifie la perception d’une norme nationale influençant elle-même les attitudes personnelles et les préjugés.. Pour une politique assimilationniste, cela se traduit par une augmentation des préjugés et des attitudes personnelles défavorables aux immigrés et donc à la diversité.
Ensuite, il développe la thèse, selon laquelle, une majorité des membres des groupes minoritaires veulent s’intégrer à la culture majoritaire, tout en conservant leurs caractéristiques culturelles d’origine. Cependant, s’ils pensent être victimes de discrimination, ils décideront de retourner dans leur groupe d’appartenance. Il appuie son idée sur une enquête et une recherche, réalisées par J. W. Berry et ses collaborateurs en 2013. L’enquête, effectuée auprès de jeunes migrants de treize pays, révèle que le sentiment d’être discriminé, qu’il soit réel ou non, est une variable influençant la stratégie d’acculturation2 choisie. Les groupes minoritaires vont s’éloigner du groupe majoritaire et mettre en place une stratégie de séparation, ce qui consiste à se définir uniquement selon la culture d’origine. La recherche, examinant les aspects psychologiques de l’acculturation, révèle que les groupes minoritaires expriment une préférence pour la stratégie d’intégration, ce qui consiste à devenir un acteur de la culture du
groupe majoritaire, tout en gardant ses caractéristiques culturelles d’origine.
Ces deux thèses permettent à l’auteur d’exprimer l’idée que « Dans l’état actuel des connaissances, chercher à développer une politique d’assimilation apparaît comme une décision socialement et psychologiquement néfaste. » (p. 64)

Le multiculturalisme, promouvoir la diversité
La question du multiculturalisme, politique de diversité visant à la promouvoir dans le but de construire une société dans laquelle les existences culturelles multiples sont reconnues, est traitée dans le chapitre 3 du livre. Pour l’auteur, la politique de multiculturalisme passe le test minimal d’acceptation avec triomphe. Il défend cette idée avec deux arguments.
Tout d’abord, l’auteur développe la thèse, selon laquelle, le développement d’une politique multiculturaliste cause une diminution des préjugés ethniques, ainsi qu’une diminution du racisme. Il la défend grâce à deux recherches. La première est celle réalisée en 2013 par E. Schlueter et ses collaborateurs, recourant à l’indice MIPEX3, dont les résultats montrent que plus une politique est multiculturelle, plus il y a une diminution des préjugés. La
deuxième est celle menée en 2000 par C. Wolsko et ses collaborateurs proposant une procédure expérimentale, qui consiste à présenter des textes soutenant différentes idéologies de diversité à des individus, dans le but d’estimer les conséquences des stéréotypes et des préjugés. Les résultats montrent que dans le groupe où un texte soutenant le multiculturalisme a été présenté, les individus vont utiliser plus de stéréotypes, mais présenteront moins de préjugés à l’égard des minorités ethniques. Cela signifie que le multiculturalisme est associé à une augmentation des stéréotypes, mais aussi à une diminution des préjugés. Ensuite, l’auteur émet la thèse qu’une politique de multiculturalisme engendre une norme favorable à la diversité entraînant des attitudes personnelles plus positives envers elle et une acceptation plus grande des groupes minoritaires. Pour confirmer ceci, il mobilise l’une de ses recherches, évoquée précédemment. Les résultats montrent que les effets des politiques de multiculturalisme sont la conséquence du contexte normatif qu’elles créent. Cette norme est la raison pour laquelle les personnes favorables au multiculturalisme expriment moins de préjugés, ainsi que des attitudes personnelles plus favorables à la diversité. Pour le cas du Canada anglophone, par exemple, cela va même jusqu’au développement d’une identité nationale devenant « une force inclusive associée à l’acceptation de la diversité » (p. 100).
Ces deux thèses justifient que l’auteur avance l’idée, selon laquelle, « les recherches en psychologie sociale […] suggèrent que les sociétés modernes peuvent retirer de multiples bénéfices d’une approche faisant la promotion de la diversité culturelle. » (p. 101).

L’universalisme républicain, seule reconnaissance des individus
La question de l’universalisme républicain, politique de diversité dans l’objectif de former une société où les individus se détournent de leurs appartenances d’origine pour devenir citoyen, est traitée dans le chapitre 4 de l’ouvrage. Ici, l’auteur effectue une distinction entre deux universalismes républicains. D’une part, un universalisme républicain, construit autour d’une laïcité d’interdiction, ne passant pas le test minimal d’acceptation. D’autre part, un universalisme républicain, construit autour d’une laïcité historique d’inclusion, passant le test minimal d’acceptation. Il appuie son raisonnement sur deux idées.

Tout d’abord, il développe la thèse, selon laquelle, il existe deux conceptions distinctes de la laïcité. Pour démontrer cela, il sollicite l’une de ses recherches menées en collaboration avec E. Roebroeck en 2016 pour vérifier si la dimension de citoyenneté républicaine4 correspond à une forme de laïcité. Cette recherche reprend le questionnaire de Kamiejski et de ses collaborateurs avec l’ajout de trois nouveaux items se rattachant au concept de laïcité historique5. Les résultats montrent que les trois nouveaux items se rattachent au principe de citoyenneté. Cela signifie qu’il est possible d’avérer l’existence de deux conceptions distinctes
de la laïcité, une laïcité historique d’inclusion et une nouvelle laïcité d’interdiction.
Ensuite, il présente la thèse, selon laquelle, la laïcité historique est associée à une diminution des préjugés et la nouvelle laïcité est associée à une augmentation des attitudes défavorables envers les immigrés. Il confirme cela à l’aide d’une de ses recherches menées en collaboration avec R. De la Sablonnière en 2018, qui consiste en une enquête identique en France et au Québec autour d’un échantillon représentatif, pour voir la relation entre les deux
conceptions de la laïcité et les préjugés anti-immigrés. D’une part, les résultats montrent qu’en France et au Québec, la laïcité historique est reliée négativement aux préjugés anti-immigrés,
ce qui signifie qu’elle est associée à une diminution des préjugés. D’autre part, les résultats montrent que seulement en France, la nouvelle laïcité est reliée positivement aux préjugés anti-immigrés,
ce qui signifie qu’elle est associée à une augmentation des préjugés. Cette différence est expliquée par l’auteur comme le résultat du développement d’une forme particulière de laïcité engendrée par l’application des lois de 2004 et 20106.
Ces 2 arguments permettent à l’auteur de dire que l’universalisme républicain formé autour de la laïcité historique d’inclusion « semble partager les ingrédients qui permettent […] de produire des conséquences positives sur les dynamiques sociales » (p. 147).

Une synthèse utile et bien menée…
Cet ouvrage présente une bonne synthèse des recherches et connaissances menées au sujet des politiques de diversité, comme nous l’avait promis l’auteur dès la quatrième de couverture. Les cinq chapitres qui composent l’ouvrage peuvent tout autant se lire séparément. Ils nous donnent de bonnes clefs d’analyse nous permettant de mieux comprendre les enjeux, ainsi que les politiques de diversité elles-mêmes, puisque chaque chapitre est dédié à l’une d’entre elles. Au fil de ces derniers, on peut examiner les effets psychologiques et sociaux d’une politique d’assimilation (chapitre 2), de multiculturalisme (chapitre 3), d’universalisme
républicain (chapitre 4) et enfin d’interculturalisme (chapitre 5).
Il semble aussi utile et important à lire au vu des enjeux de notre société actuelle. La structure de l’ouvrage permet une lecture facile et rapide. Les notions importantes sont reprises dans les divers chapitres et suivent un plan cohérent. Chaque développement commence par les différentes recherches qui ont pu être faites sur telle ou telle politique de diversité, accompagnées des apports de ces dernières. Ensuite, le raisonnement est illustré par des exemples, suivi d’une conclusion apportée par l’auteur. Dès la première ligne de son ouvrage, S. Guimond se pose la question suivante : « Les politiques publiques peuvent-elles changer les préjugés et atténuer les discriminations ? ». Il va tâcher d’y répondre, tout au long de son développement, en s’appuyant sur des politiques déjà mises en place et en faisant une analyse ex post de ces dernières. Il n’hésite pas, pour compléter son propos, à s’appuyer sur des recherches internationales. Le chapitre 5 est d’ailleurs dédié au Québec et se nomme « l’interculturalisme : le Québec comme modèle pour l’Europe ». Malgré ses nombreuses références étrangères, l’auteur ne se laisse pas emporter et garde une bonne balance entre la France et les pays étrangers.

…mais présentant toutefois des limites
Cet ouvrage représente une bonne synthèse et l’auteur n’hésite pas à citer plusieurs chercheurs, mais on peut se demander s’il n’en cite pas un trop grand nombre. Il est vrai que le contenu devient rapidement indigeste, ce qui contribue à la complexification du propos développé et rend l’argumentaire rapidement incompréhensible. En effet, par moment, il arrive
à l’auteur de présenter plusieurs recherches en même temps, ce qui va conduire à enlever une clarté qui aurait été appréciable. Cela est apparent, notamment dans un passage du chapitre 2,
qui se situe à la page 45, où l’auteur fait référence à sept recherches réalisées sur la politique d’assimilation, dont certaines sont plus développées que d’autres. Ainsi, il est possible de se
demander s’il n’aurait pas été plus pertinent de n’en citer que quelques-unes pour garder l’ensemble cohérent. Il peut également être souligné que, de temps à autre, l’ouvrage manque
de développement. Cela peut s’expliquer par le grand nombre de citations de recherches qui empêche l’auteur de nous fournir une bonne interprétation de celles-ci. Ensuite, l’auteur manque légèrement d’objectivité dans son ouvrage, puisqu’il semble
montrer assez clairement une préférence pour la politique de multiculturalisme. Pour lui, la thèse de l’échec de cette politique ne reposerait sur aucune donnée probante et, concernant les
indications justifiant que l’idéologie pourrait être mal perçue et conduire à des difficultés dans les rapports sociaux, il y répond qu’« à ce jour, il n’y a pas une seule enquête comparative
internationale indiquant que les pays ayant les politiques les plus proches du multiculturalisme seraient ceux où la population manifeste le plus d’hostilité envers les immigrés. » (p.100).
Par ailleurs, le terme de radicalisation présent dans le titre semble être injustifié puisqu’il n’est finalement jamais développé, ni même mentionné, une seule fois dans l’argumentaire. Il
fait seulement l’objet de légers mots de fin, semblant conclure les propos développés précédemment. Il est alors envisageable de se demander si cela n’est pas une stratégie de l’auteur pour attirer un public plus large, soucieux de se cultiver sur des questions qui bercent notre actualité depuis quelques années maintenant.

En définitive, nous pouvons dire que l’ouvrage est écrit dans l’ensemble, de façon claire et concise, ce qui le rend accessible à tous. Serge Guimond résume de façon intelligible certains
grands débats auxquels nous avons pu faire face ces dernières années, notamment avec les politiques publiques qui ont pu être adoptées et qui ont jouées indirectement sur les attitudes personnelles des individus (chapitre 1). Nous pouvons notamment retenir que l’actuelle politique de diversité mise en place en France est une politique dite d’universalisme républicain se basant sur une nouvelle laïcité d’interdiction. De plus, l’auteur a répondu aux questions qu’il se posait au début de l’ouvrage et tient la promesse de son introduction d’effectuer une synthèse des recherches menées sur le sujet. Il n’a pas publié d’autres ouvrages depuis ce dernier, néanmoins il continue de publier des recherches assez régulièrement dans le cadre de son travail
d’enseignant à l’université de Clermont Ferrand. Aucune information sur le succès ou non du livre, ni sur son impact dans le domaine des recherches des politiques de diversité, n’a été
communiqué. Toutefois, personnellement cela nous a permis de mieux comprendre les enjeux de la diversité, mais aussi les politiques de diversité en elles-mêmes.

Co-écrit par HUMBLOT Quentin et ZEMZEM Malak

Pour aller plus loin
Berry, J. W. (2005). Acculturation: Living successfully in two cultures. International Journal of Intercultural Relations, 29, 697-712.
Berry, J.W., Kalin, R., & Taylor, D.M. (1977). Attitudes à l’égard du multiculturalisme et des groupes ethniques au Canada. Ottawa : Approvisionnements et services Canada.
Guimond, S., Crisp, R. J., De Oliveira, P., Kamiejski, R., Kteily, N., Kuepper, B., Lalonde, R. N., Levin, S., Pratto, F., Tougas, F., Sidanius, J., & Zick, A. (2013). Diversity policy, social dominance, and intergroup relations: Predicting prejudice in changing social and political contexts. Journal of Personality and Social Psychology, 104(6), 941-958.
Kamiejskil, R., Guimond, S., De Oliveira, P., Er-Rafly, A., & Brauer, M. (2012). Le modèle républicain
d’intégration : Implications pour la psychologie des relations entre groupes. L’Année Psychologique, 112, 51-85.
Schlueter, E., Meuleman, B., & Davidov, E. (2013). Immigrant integration policies and perceived group threat: A multilevel study of 27 Western and Eastern European countries. Social Science Research, 42, 670–682.
Wolsko, C., Park, B., Judd, C. M., & Wittenbrink, B. (2000). Framing interethnic ideology: Effects of multicultural and colour-blind perspectives on judgments of groups and individuals. Journal of Personality and Social
Psychology, 78, 635-654.

  1. Recherche procédant à une comparaison de 1500 étudiants de quatre pays différents (le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Canada et les États-Unis) et à une mesure des préjugés antimusulmans à l’aide d’une liste de 15 groupes et d’une échelle allant de 1 à 7. ↩︎
  2. Modèle des stratégies d’acculturation de Berry présentant 4 options, l’intégration, l’assimilation, la marginalisation et la séparation. ↩︎
  3. L’indice MIPEX (Migrant Integration Policy Index) est un outil développé par l’Europe donnant des informations sur les 27* pays de l’Union européenne, les États-Unis et le Canada. Un score élevé à cet indice indique une politique favorable à la diversité. (*L’ouvrage a été publié avant le Brexit) ↩︎
  4. L’auteur évoque précédemment 2 dimensions dans les principes républicains, développées par Kamiejski et ses collaborateurs. La première est celle de la citoyenneté républicaine et la deuxième est celle de la laïcité (entendue ici comme falsification de l’idéal républicain). ↩︎
  5. La laïcité historique est celle entendue comme définie par la loi de séparation de l’Église et de l’État datant de 1905. ↩︎
  6. En France, la loi de 2004 sur les signes religieux dans les écoles publiques françaises et la loi de 2010 interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, appelée loi anti-burqa. ↩︎

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