Le quinquennat du Président Nicolas Sarkozy et les années 2000 plus généralement, ont été marqués par la « publicisation » du terme « diversité » au sein de l’espace public : qu’il s’agisse d’acteurs publics qui se sont saisis de la question ou d’acteurs privé. En 2008, l’ex-Président a demandé que le terme « diversité » soit intégré au préambule de la Constitution de 1958. Sa demande essuya un refus de la part du comité présidé par Simone Veil en raison du caractère flou de la notion.
Réjane Sénac, enseignante à Science-Po Paris et Paris III, chercheuse au CNRS et au CEVIPOF, a réalisé durant un an (2008-2009) une série d’entretiens auprès d’acteurs divers (partis politiques -UMP, PS-, d’associations féminines/féministes et entreprises) afin de clarifier la définition du terme « diversité » mais aussi en vue de mettre en lumière les politiques publiques misent en place afin de la promouvoir.
Son livre, publié en 2012, est le fruit de ses travaux, présenté sous la forme d’une enquête qualitative forte de 163 entretiens semi-directifs. Son enquête repose sur le principe d’égale importance de tous les interviewé-e-s quel que soit « leur espace public spécifique » de rattachement (politique, religieux, économique, universitaire) ou encore leur position hiérarchique dans ces espaces. « L’invention de la diversité » est un ouvrage qui croise l’analyse de rapports, de travaux et déclarations sur la diversité et les résultats de l’enquête qualitative réalisée par l’auteure.
Réjane Sénac a articulé son ouvrage autour de trois axes principaux : une mise au point sémantique du terme diversité ; un retour sur l’actualité internationale du concept, et l’analyse du référentiel de politique publique qui renvoie à celle-ci (outils et actions).
La première partie que nous chercherons à analyser se compose de deux éléments distincts d’une part la généalogie et la genèse du terme « diversité » et d’autre part sa spécificité par rapport aux notions voisines (lutte contre les discriminations/ discriminations positive…).
Diversité : un concept aux usages stratégiques
Le terme « diversité » vient du latin « diversitas », « diversus » qui signifie « qu’une chose est en sens opposé ». Ce terme exprime une opposition, qu’une chose diffère d’une autre, qu’elle va dans le sens opposé à une norme. « Diversité » évoque aussi le caractère de ce qui est varié, hétérogène, renvoyant à une absence d’unité.
Les premières pages de l’ouvrage sont dédiées au caractère protéiforme du mot diversité. Les acteurs privés, publics, membres de partis politiques et d’associations ont ainsi beaucoup de mal à se mettre d’accord sur ce que recoupe la notion de diversité. L’auteure va réaliser toute une série d’entretiens avec des responsables dans le secteur privé et publique afin de distinguer la manière dont ce terme est perçu et employé par les acteurs interrogés.
Les acteurs privés vont renvoyer la notion de diversité à son caractère ethno-racial. Dans le domaine associatif, en revanche, le terme de « diversité » intègre toutes les discriminations : qu’elles soient dues au handicap, à l’origine, à l’orientation sexuelle, au sexe, lieu de résidence ou à l’âge des personnes concernées.
L’usage du terme « diversité » a concordé avec le questionnement autour de la place de l’identité dans la société notamment l’identité culturelle et politique. Le recours à la diversité est notamment prôné dans les années 1980 dans le sillage des programmes d’égalité des chances. L’année 2000 marquera son entrée à l’échelle communautaire avec l’adoption de la devise « l’Unité dans la diversité » par l’Union Européenne à l’occasion des cinquante ans de la déclaration de Robert Schumann. Par ailleurs, le concept de diversité sera décliné sous les traits de l’expression « issue de la diversité », lui donnant une dimension précisément ethno-raciale puisqu’elle renvoie aux personnes immigrées, d’origine étrangère et aux « minorités visiblesi ».
La détermination d’un terme approprié pour qualifier les phénomènes de discrimination s’est avérée conflictuelle puisqu’oscillant entre l’expression « lutte contre les discriminations » et « promotion de la diversité ». Or ces deux dénominations ne renvoient pas au même contenu sémantique. D’après les différents entretiens, il semblerait qu’adopter l’expression « lutter contre les discriminations » reviendrait pour les acteurs du secteur privé ou public à admettre l’existence de discriminations au sein de leur structure respective (entreprises pour le privé et partis et institutions politiques pour le public). Aveu difficile à faire, c’est pourquoi les différents acteurs en présence préféreront l’usage plus positivement chargé, du terme de diversité.
La deuxième thématique qu’aborde l’auteure dans cet ouvrage renvoie à l’actualité de la notion de diversité, à trois échelles : internationale, européenne et nationale.
Au niveau international, l’auteure s’appuie sur des travaux et concepts anglo-saxons comme la notion d’intersectionnalité. Ce terme est devenu un terme central dans le champ académique anglo-saxon désignant le fait de cumuler plusieurs critères pouvant être considérés comme discriminants. En France, il est considéré comme participant à « l’individualisation du social » et est pour cette raison sujet à débat. La Déclaration universelle de l’UNESCO sur la diversité culturelle adoptée lors de la 31ème Session de la Conférence générale de l’UNESCO à Paris en 2001 constitue un instrument normatif reconnaissant pour la première fois, la diversité culturelle comme « héritage commun de l’humanité » et considérant sa sauvegarde comme étant un impératif concret et éthique inséparable du respect de la dignité humaine. Réjane Sénac interroge également ses enquêté-e-s sur des évènements internationaux récents, telle que l’élection de Barack Obama à la présidence des Etats-Unis. Certains interviewé-e-s pensent que son élection n’a été permise que par l’application de l’affirmative action. Le 44ème Président des Etats-Unis serait arrivé à la fonction suprême américaine non pas parce qu’il est méritant ou compétent (principe méritocratique) mais parce qu’il est noir, ce qui serait en soi discriminant.
Au niveau natioal, on peut citer l’action menée par l’association des DRH (ANDRH) qui, à l’occasion de la tenue de son forum annuel, a lancé le label diversité pour promouvoir la diversité en entreprise. On peut également citer le rapport de Michel Wieviorka sur l’intégration de la diversité dans l’enseignement supérieur, où il est noté la forte homogénéité sociale et ethno-raciale des membres du personnel universitaire. La troisième thématique se propose d’analyser le référentiel de politiques publiques auquel renvoie la diversité comme catégorie de l’action publique.
Des statistiques ethnoraciales : un sacrilège pour la tradition républicaine française ?
L’auteure évoque notamment avec les interviewés la question des « statistiques ethniques ou raciales » aussi appelées « statistiques de la diversité » en cherchant à comprendre le positionnement de chacun quant aux mesures « à prendre », telles que la mise en place de discriminations positives ou quotas. Selon ces derniers, le principe d’égalité devrait prévaloir sur celui de légalité. En outre, pour lutter contre les inégalités et donc agir en faveur de l’égalité, il ne suffirait pas de légiférer, car les discriminations découlent de profondes fractures dans la société.
Dans cet ouvrage sont également évoquées les politiques publiques mises en place en faveur de la discrimination positive, relatives à la parité ou renvoyant à des bases territoriales et sociales (par exemple certains lycées classés ZEP ont un partenariat avec l’école Science Po Paris pour faciliter l’intégration de la diversité).
L’une des difficultés d’application de mesures correctrices d’inégalité est due au décalage de telles mesures avec le modèle républicain français universaliste, hérité de la philosophie des Lumières nous renvoyant à une seule unité du genre humain. Autrement dit, le traditionalisme français résiste au modèle multiculturalistei en éclosion.
Pourtant l’usage de l’expression « personne issue de la diversité » est bel et bien problématique puisqu’elle pousse à visualiser « une république fondée sur le « nous » et le « eux » », excluant ceux qui sont considérés comme les nouveaux arrivants.
Néanmoins, on retiendra l’article 1er de la Constitution française, proclamant qu’«Elle (la République) assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». On peut ajouter que la mise en œuvre d’une politique de la diversité a toutefois pu engendrer des effets positifs et des avancées certaines. Cet ouvrage permet aux lecteurs de comprendre la notion de « diversité » et de mieux la définir. Les différents points de vue des interviewés constituent sa richesse mais ils peuvent aussi représenter une difficulté pour le lecteur à comprendre et saisir avec clarté ce nouveau concept. La question qui s’inscrit en continuité de la lecture du livre de Réjane Sénac est de savoir comment se sortir de cette dichotomie de politique d’identité et de politique d’égalité ?
Mohdeb Ounissa, Priscillia Harimanana et Rehana Ashraf Himid
i Multiculturalisme : Le multiculturalisme est le fait de faire coexister différentes cultures ensemble. Il est souvent encouragé par une politique gouvernementale volontariste qui plaide en faveur de la reconnaissance de celui-ci comme bénéfique pour la société.
ii Minorité visible : désigne une minorité sur un territoire dont les membres sont facilement reconnaissables par leur physique. Cela concerne essentiellement les différences ethniques comme notamment la couleur de peau ou bien encore les traits du visage.