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Contre vents et marées

L’année 2020 a été une année record pour la croissance des capacités de production d’énergies renouvelables dans le monde, comme en témoignent les statistiques publiées par l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA). Cependant, il existe de forts contrastes, même à l’échelle européenne, dans la façon dont les énergies renouvelables ont été intégrées à la production d’électricité dans les différents pays.

Aurélien Evrard, chercheur associé au Centre d’études européennes de Sciences Po, nous propose dans son ouvrage Contre vents et marées une étude comparative des politiques des énergies renouvelables à l’échelle européenne. Il choisit ici de se concentrer sur trois pays : le Danemark, l’Allemagne et la France. L’auteur postule dans cet ouvrage qu’il convient d’analyser les choix énergétiques tels que le développement des énergies renouvelables à travers le prisme des facteurs politiques et sociétaux, à la fois nationaux et internationaux.  Il s’agit ici de s’intéresser à l’émergence des énergies renouvelables comme nouvelle catégorie d’action publique et à la façon dont celle-ci vient contester l’ordre établi au sein du secteur de l’électricité. L’auteur articule sa réflexion autour de deux grands axes : en premier lieu il s’intéresse aux raisons expliquant l’émergence des énergies renouvelables comme alternative dans le secteur de l’électricité. Dans un second temps, il se focalise sur l’analyse successive des trajectoires nationales des politiques publiques des énergies renouvelables au Danemark, en Allemagne et en France.

L’alternative et le secteur

Dans cette première partie d’ouvrage, l’auteur s’intéresse au changement de paradigme ayant eu lieu durant la seconde moitié du 21ème siècle en matière de production d’énergie. L’émergence des énergies renouvelables (EnR) n’est pas seulement un changement technologique, mais aussi bien un changement de logique de production.  Le nouveau cadre repose sur des critères de maîtrise de la demande, bien avant d’envisager celle de production. La croissance de la part des EnR dans la production d’électricité est un enjeu global. C’est pour cela que ces 20 dernières années, l’union européenne a fait preuve d’un grand volontarisme en essayant d’instaurer une politique de développement commune. Cependant, les États gardent une place prépondérante dans le secteur de l’énergie, un secteur régalien mais fortement monopolistique et stabilisé. Des facteurs qui ont rendu l’évolution des EnR lente mais aussi et surtout irrégulière. L’auteur nous fait remarquer par ailleurs que de nombreux facteurs exogènes ont conduit à l’accélération de la transition écologique, comme les deux crises pétrolières, l’accident de Tchernobyl ou bien celui de Fukushima.

Dans les chapitres 2 et 3, Aurélien Evrard revient sur les caractéristiques essentielles des secteurs électriques, éléments indispensables afin de comprendre le développement des EnR. Dans les 3 pays, même au sein de l’Allemagne et du Danemark, pays fortement décentralisés, le secteur énergétique est un enjeu tel, qu’au fil du temps, nous sommes passés de secteurs compétitifs entre une pluralité de compagnies locales, à un monopole national. Les choix énergétiques deviennent ainsi un enjeu politique. Quand en France, afin d’avoir de l’électricité bon marché, le nucléaire se développe énormément. En Allemagne, le charbon, vecteur d’une majorité d’emplois dans la Ruhr et d’autre Länder, a continué d’être exploité contre toute logique écologiste. Ces structures vont cependant être contestées, surtout à partir des années 1970, qui marquent un tournant dans beaucoup de pays pour les EnR. Les mouvements écologistes et antinucléaires vont commencer à travailler main dans la main avec des experts, afin de développer une véritable légitimité scientifique. On passe ainsi progressivement d’une sous-culture à une contre-culture énergétique.

Ces nouveaux acteurs ne remettent pas seulement en cause l’origine de l’électricité, mais interrogent les fondements même du secteur électrique. Ils s’opposent au côté très centralisé et étatique de ce secteur, et considèrent l’échelon local comme le plus adapté : « Les énergies renouvelables sont des énergies locales. Ce ne sont ni les états ni les entreprises nationales qui pourront les développer » (p.102). L’auteur note tout de même une différence de taille entre le couple franco-allemand et le Danemark sur ce point-là. Au sein des premiers, les experts-militants se sont organisés contre l’expansion d’un programme de centrale nucléaire déjà implantées. Quant au Danemark, ce débat a eu lieu en amont et a empêché les centrales de voir le jour.

 Trajectoires européennes des énergies renouvelables

Dans la seconde partie de l’ouvrage, l’auteur s’intéresse successivement aux trajectoires nationales du Danemark, de l’Allemagne et de la France. Il analyse la manière dont l’alternative construite autour des énergies renouvelables a réussi, ou non, à s’imposer dans le secteur de l’électricité dans ces différents pays.

Le Danemark a joué un rôle pionnier dans le développement des énergies renouvelables, cependant leur intégration à la politique de l’électricité fut très irrégulière et conflictuelle. Les années 1970 et 1980 se caractérisent par des changements à la marge et des transformations discrètes. On assiste à cette période à une forte résistance des acteurs dominants du secteur électrique face aux propositions formulées par les partisans des EnR. Cependant, des instruments mis en place par les pouvoirs publics, bien que marginaux, permettent une pénétration progressive de l’alternative des EnR dans le secteur de l’électricité. Les années 1990 marquent alors un tournant, notamment car le contexte politique devient favorable au développement de ces dernières. Les plans énergétiques adoptés durant cette période marquent le début d’une politique volontariste en faveur des EnR. Cependant, la libéralisation des marchés de l’électricité provoquée par l’Union Européenne ainsi que l’arrivée au pouvoir en 2001 d’un gouvernement libéral et conservateur vont rendre visible la fragilité du changement impulsé.

Aurélien Evrard analyse dans un second temps la trajectoire de l’Allemagne en matière d’énergies renouvelables, pays aujourd’hui présenté comme le leader européen dans ce secteur. Au début des années 1980, les EnR se heurtent, comme au Danemark, à la résistance économique et politique du secteur électrique. Cependant, à partir du milieu des années 1980, le contexte devient plus favorable au développement de ces dernières.  Cela est dû notamment à l’effritement du socle de normes et représentations du secteur électrique lié à l’accident de Tchernobyl et à l’émergence de problèmes environnementaux. En 1998 un gouvernement de coalition entre sociaux-démocrates et écologistes arrive au pouvoir. Bien qu’elle se heurte à des contraintes et des résistances, cette coalition permet d’opérer à un tournant énergétique en renforçant considérablement la place des EnR dans le secteur. A partir des années 2000, la trajectoire allemande semble prendre la voie d’un consensus national autour des énergies renouvelables : les clivages partisans s’affaiblissent, ainsi que les conflits et la résistance à la fois sur le plan politique et économique.

La troisième trajectoire nationale analysée par l’auteur est celle de la France. Il s’agit d’une trajectoire atypique concernant les EnR, qui est d’ailleurs souvent absente des études comparatives européennes. Dans les années 1970-1980, les politiques de l’électricité françaises se caractérisent par le développement du nucléaire : un grand programme est mis en place en 1974 avec pour objectif le quadruplement de la production. Les EnR représentent à cette époque une alternative très marginale et se heurtent à beaucoup de résistance de la part des acteurs dominants du secteur. Les années 1990 marquées par l’accident de Tchernobyl ne permettent pas de changer radicalement le rapport de force au sein du secteur. Cependant, des innovations telles que des programmes de développement de l’éolien, bien que mineures, vont constituer des « graines de changement ». A partir des années 2000, un contexte politique plus favorable aux EnR va apparaître. Elles se mettent à occuper une place grandissante dans les discours politiques et sur la scène médiatique. On assiste au cours de cette décennie à une institutionnalisation des EnR, qui s’intègrent progressivement au secteur électrique. Cependant, l’ampleur de ces changements ne permet pas de qualifier cette période de vraie « transition énergétique ».

Conclusion

Cette étude comparative des trajectoires européennes permet de nuancer les représentations qui sont faites du succès allemand et danois, aussi bien que de l’inertie de la France. Le développement des EnR n’a été linéaire dans aucun des trois pays. Partout, il a fait l’objet de résistances de la part du secteur électrique et de conflits politiques. Si au départ les EnR constituaient un projet alternatif porteur d’un tout autre modèle de pensée, de production et d’usage de l’énergie, elles n’ont pas réussi à réformer en profondeur le secteur de l’électricité. En effet, les acteurs du secteur électrique les ont intégrées tout en parvenant à les conformer à leurs normes dominantes. Il est donc intéressant d’interroger la notion de transition énergétique : il n’est pas certain que la nature fondamentale et l’organisation des systèmes énergétiques soient effectivement en transition.

On notera tout de même deux limites à cet ouvrage. Tout d’abord les trois pays comparés sont assez proches : ce sont trois pays riches, développés et pour lesquels les questions environnementales ont une place prépondérante dans les politiques publiques. Ensuite, nous nous attendions à une analyse plus poussée de l’intervention de l’Union européenne dans le développement des EnR. Or, l’auteur se focalise principalement sur les trajectoires des politiques nationales.

Madeleine de Blic et Maxime Lamidon

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