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L’intégration des immigrés

Avec l’arrivée massive de réfugiés syriens ou le démantèlement de la jungle de Calais, la question de l’intégration des immigrés rentre à nouveau dans le débat de l’action publique. Il est nécessaire remonter dans l’histoire afin de voir les mesures prises en termes de politique d’immigration et la difficulté de sa mise en œuvre afin de comprendre les positions et enjeux.

Un survol historique des politiques d’immigration en France

L’histoire de l’immigration en France peut être envisagée sous forme d’étapes successives. Celles-ci structurent trois décennies de tentatives de régulation des flux migratoires.

Premièrement, de la fin du XIXe siècle à 1945, la France devient un pays d’immigration. A partir de 1850, on constate un premier flux migratoire lié aux besoins de l’économie : la France manque de main-d’œuvre. À cette période, la législation en vigueur pour les immigrés concerne seulement le contrôle de leur séjour et leur statut de travailleurs.

Ensuite, cette nécessité de main-d’œuvre est d’autant plus nécessaire après la Première Guerre mondiale et des mesures libérales et restrictives vont se conjuguer.

La nécessité de recourir à une main-d’œuvre étrangère est encore plus prégnante après la Première Guerre mondiale et des mesures libérales et restrictives vont se conjuguer. Le régime de Vichy y met un terme.

Après 1945 et jusqu’au milieu des années 1970, l’immigration s’accélère. La création de l’Office national d’immigration donne à l’État le monopole de l’introduction de la main-d’œuvre étrangère. Les besoins de l’économie sont le principal motif des politiques d’immigration et l’ordonnance du 2 novembre 1945 envisage de mettre en place une politique d’immigration durable. Durant les Trente Glorieuses, l’immigré devient un homme à tout faire.

A la fin des Trente Glorieuses et suite à la crise économique, il y a un profond réexamen des politiques migratoires avec une multitude de politiques de contrôle des flux migratoires : ce qui correspond à la troisième période allant de cette crise de 1974 jusqu’à aujourd’hui.

Tout d’abord, le quinquennat de Valéry Giscard d’Estaing se caractérise par l’arrêt de toute nouvelle immigration. Des mesures restrictives sont prises telles que la loi Bonnet de 1980 qui prévoit un contrôle rigoureux des entrées et des séjours des immigrés en situation irrégulière.

Son successeur François Mitterrand assouplit cette politique. Il souhaite faciliter l’intégration des populations immigrées et assouplit les conditions d’accès au titre de séjour ou encore à l’asile politique. Il abroge également la loi Bonnet. En 1981 est votée une loi relative au titre de séjour et travail en dissociant le droit de séjour avec l’occupation d’un emploi. Suite à l’opposition RPR-UDF, et avec les deux périodes de cohabitation, la politique d’immigration des gouvernements français fluctue entre politiques de régularisation et politiques répressives. Sont alors prises les lois Pasqua en 1981 ou la loi Joxe en 1989 assurant une protection des immigrés expulsés.

Sous le premier quinquennat de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy est ministre de l’Intérieur. Dès son arrivée, celui-ci fait une nouvelle loi qui durcit les conditions d’entrée et de séjour, la migration matrimoniale et le regroupement familial. Ce dernier devient à son tour Président de la République. Il fait de « l’immigration choisie » l’une de ses promesses. Le premier but est de combler un manque de main d’œuvre qualifiée en France. L’immigration choisie prévoit d’accueillir en priorité les immigrés qui ont des qualifications, selon des quotas fixés chaque année.

Suite à sa victoire, François Hollande souhaite se démarquer de ses prédécesseurs.

Le programme du candidat prévoit libérales sont prévues, comme le droit de vote aux étrangers aux élections locales, l’interdiction de la rétention d’enfants dans les centres de rétention.

La politique d’immigration en vigueur

Les politiques d’immigration en France reposent actuellement sur 3 grands axes.

Tout d’abord, les personnes étrangères s’estimant persécutée dans leur pays d’origine peuvent demander l’asile politique. Cette demande se fait via l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), chargé d’évaluer la recevabilité de la demande. En cas de refus, le demandeur peut effectuer un recours auprès de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA). Parallèlement, l’Organisme français de l’immigration et d’intégration (OFII) se charge de l’accueil des demandeurs d’asiles, les aide et éventuellement prépare leur retour et à leur réinsertion dans leur pays d’origine.

On constate qu’entre 1980 et les années 2000, le taux d’admission est passé de 80 % à 23 %. Cette baisse est due à la politique mise en place début 2000 consistant à durcir les conditions de la demande en raccourcissant le délai de dépôt et de recours, et augmenter la durée du traitement afin de décourager les demandeurs. Baisser le nombre de demandeurs était un objectif de la France.

Toutefois, la politique d’asile semble à bout de souffle en 2013 (conditions d’accueil de demandeur mauvaises, l’allongement des délais de traitement porte préjudice aux demandeurs, et par la même occasion, à la saturation des capacités d’hébergement). Le 29 juillet 2015, une loi réformant cette politique est promulguée. Elle permet d’améliorer la protection des personnes en besoin d’une protection internationale et met fin au détournement de la procédure d’asile pour des fins migratoires.

En ce qui concerne l’immigration pour motif socio-professionnel, la politique se centre autour de « l’immigration choisie » dont l’objectif est d’attirer une main-d’œuvre susceptible d’être utile à la France avec une carte de « compétence et talent » d’une durée de trois ans. La personne doit avoir un projet ayant un intérêt direct ou indirect pour la France et son pays d’origine.

Enfin, la politique d’immigration pour motif socio-familial est contradictoire puisque d’un côté des réformes législatives cherchent à maintenir les régulations sur place de plusieurs catégories (comme les parents d’enfants français, majeurs arrivés sur place avant 14 ans…). En revanche, elle n’échappe pas aux logiques restrictives puisque les conditions du regroupement familial ont été durcies, l’examen de la situation du demandeur étant de plus en plus approfondi (stabilité de l’emploi, niveau des ressources, taille du logement, maîtrise du français, degré d’adhésion aux principes de la République…).


La politique désormais affichée est de se donner la possibilité « de mieux organiser et choisir les flux migratoires » par la reconnaissance « au Gouvernement et au Parlement du droit de fixer chaque année, catégorie par catégorie, le nombre des personnes admises à s’installer sur le territoire » avec pour objectif d’atteindre une proportion de 50 % d’immigration économique (M. VIPREY, 2010)


La mise en œuvre de la politique d’immigration soumise aux contraintes institutionnelles et aux jeux de différents acteurs

À partir de 1974, l’intégration des immigrés entre dans le champ des préoccupations des pouvoirs publics avant de devenir un sujet de débat politique.

Les représentants se montrent très préoccupés par la perspective d’une forte augmentation du flux migratoire, un enjeu mettant l’accent sur les déterminants historiques puisqu’il est inscrit dans l’agenda politique depuis 1974. En effet, pour les grands partis politiques (de droite comme de gauche), l’immigration doit être contrôlée voire « choisie ». En effet, le « contrôle de l’immigration », qui prévaut aujourd’hui, est une logique de gestion de populations en fonction de l’origine nationale des immigrés. Certains vont jusqu’à proposer des « quotas d’immigration ». (J. COSTA-LASCOUX et P. WEIL, 1992). Par exemple, durant les primaires Républicaines de novembre 2016 François Fillon prône « l’instauration de quotas d’immigration (…) votés chaque année par le Parlement ». Des quotas « définis par compétence professionnelle et par zone géographique », précise-t-il.

Toutefois, on remarque que des contraintes institutionnelles viennent complexifier la mise en œuvre des politiques migratoires et d’intégration (C. HAMIDI et N. FISCHER) puisque le contexte européen prend une place croissante (J. HÉRICOURT et G. SPIELVOGEL, 2012). En effet, pendant les deux dernières décennies, on remarque que l’enjeu migratoire a dépassé le cadre strictement national puisqu’aujourd’hui, on observe des politiques de fermeture des frontières ainsi qu’une forte réduction de l’octroi du statut de réfugié pour les individus ressortissants de pays tiers.

Ainsi, la volonté politique menée jusqu’alors par les représentants étatiques reflète assez fidèlement les politiques adoptées auparavant (G. LAHAV, 2004) en mettant l’accent sur la continuité des modèles au cours du temps, dans une logique de path dependence (dépendance au sentier).

Toutefois, d’autres acteurs viennent contester l’idée que les politiques migratoires adoptées ces dernières décennies soient véritablement libérales et critiquent également la faible capacité des acteurs non-étatiques à défendre le droit des immigrés et à peser sur les politiques adoptées (STATHAM et GEDDES, 2006).

Cependant, la situation commence à évoluer avec le contexte européen qui offre des opportunités et certains acteurs privés parviennent à s’institutionnaliser durablement tels que les ONG, les lobbys pro-immigrés plaidant en faveur de l’intégration des immigrés. Ils ont réussi à peser sur l’adoption de textes, notamment sur les questions des droits des ressortissants de pays tiers, de la lutte contre les discriminations et de l’asile (C. HAMIDI et N. FISCHER).

Les fonctionnaires de terrain ou de « guichet » jouent également un rôle central en disposant d’un large pouvoir discrétionnaire dans la prise de décisions quotidiennes pour leurs publics. Ils sont en mesure de réélaborer et de réorienter l’action publique, en fonction de règles progressivement stabilisées et transmises localement. Mais encore une fois, une critique peut être adressée à leurs égards, car ils sont peu formés au droit des étrangers.

Néanmoins, on constate que l’action publique se limite aux programmes élaborés par les responsables politiques et les motivations des acteurs non-étatiques sont exclues du champ de l’analyse. Cela peut expliquer la difficile mise en œuvre des politiques et le cas échéant, leurs échecs. (C. HAMIDI et N. FISCHER).  S’ajoute à cela, le fait qu’il est toujours question d’améliorer le contrôle des flux migratoires puisque les objectifs mis en place durant les précédents quinquennats ne sont pas encore atteints : on parle de décalage (gap) entre les objectifs affichés de ces politiques et les résultats effectivement constatés.

Coécrit par Fathima Mougamadou, Robin Saint-Marc et Deborah Jouan Normand

 

Sources :
La lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie. (2014) (1st éd.). Paris.
Fischer, N. & Hamidi, C. (2016). Les politiques migratoires (1st éd., pp. 9-28). Paris : La Découverte.
Lochak, D. (2016). L’intégration comme injonction. Enjeux idéologiques et politiques liés à l’immigration. Conflits.revues.org. Repéré à https://conflits.revues.org/2136
Émigrer. Musée national de l’histoire de l’immigration. Repéré à http://www.histoire-immigration.fr/dix-themes-pour-connaitre-deux-siecles-d-histoire-de-l-immigration/emigrer
Chronologie : l’histoire de l’immigration en dates (2016). Vie-publique.fr. Répéré à http://www.vie-publique.fr/politiques-publiques/politique-immigration/chronologie-immigration/
ROGERIE, A. (2015). Immigration : Sarkozy et Hollande passés au laser. Le Point. Repéré à http://www.lepoint.fr/politique/immigration-sarkozy-et-hollande-passes-au-laser-28-07-2015-1952958_20.php
Office français de protection des réfugiés et apatrides. La mission Etudes et Statistiques. OFPRA. Repéré à https://www.ofpra.gouv.fr/fr/l-ofpra/l-ofpra-en-chiffres/la-mission-etudes-et-statistiques
Droit d’asile et politique migratoire (2016). Vie-publique.fr. Repéré à http://www.vie-publique.fr/politiques-publiques/politique-immigration/droit-asile-refugie-demandeur-asile-ofpra-cnda/
Étranger en France : carte de séjour “compétences et talents” (2016). Service-public.fr. Repéré à https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F16922
MISANDEAU, A. (2016). Immigration et intégration : les réponses des candidats à la primaire à vos questions. Le Figaro. Repéré à http://www.lefigaro.fr/elections/presidentielles/primaires-droite/2016/11/04/35004-20161104ARTFIG00243-les-reponses-des-candidats-a-la-primaire-a-vos-questions-sur-l-immigration-et-l-integration.phps
Réau, H., Couëdic, H., & Blandin, G. (2016). Réfugiés : Marie-Noëlle Lienemann propose de mobiliser 1.000 logements accompagnés. Le Revenu. Repéré à https://lerevenu.com/breves/refugies-marie-noelle-lienemann-propose-de-mobiliser-1000-logements-accompagnes
BAUMARD, M. (2016). Immigration, ce qu’il reste à faire avant 2017. Le Monde.fr. Repéré à http://www.lemonde.fr/immigration-et-diversite/article/2016/12/07/immigration-ce-qu-il-reste-a-faire-avant-2017_5044648_1654200.html
SY, S. (2016). Politique d’asile. Parlement européen. Repéré à  http://www.europarl.europa.eu/atyourservice/fr/displayFtu.html?ftuId=FTU_5.12.2.html

 

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