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Égalité des chances et éducation prioritaire : une politique publique inadaptée pour un objectif utopique ?

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“L’égalité des chances, c’est le droit de ne pas dépendre exclusivement de la chance ou de la malchance”, André Comte-Sponville, philosophe français, 1998.

Si l’instruction devient obligatoire en France dès 1882, l’école quant à elle est déjà inégalitaire en termes de réussite scolaire. L’école primaire est l’école “du peuple” tandis que le secondaire est l’école des privilégiés, des notables et des bourgeois qui se distinguent par leurs résultats. Il faudra attendre les années 1950 pour que soit abordée pour la première fois la thématique de l’échec scolaire grâce aux travaux de la sociologue Viviane Isambert-Jamanti. Elle rappelle en effet, que l’échec scolaire n’existe pas en soi, mais varie selon le moment socio-historique où il est considéré, selon les attentes de la société à l’égard de l’école, et de l’école elle-même à l’égard des élèves.

Une reconnaissance tardive de l’échec scolaire dans les milieux moins favorisés

Au début des années 1960, ce problème social n’est toujours pas considéré comme un problème public mais il commence à être abordé par différents acteurs qui tentent de faire entendre leur voix. Ce sont d’abord des parents et des enseignants qui se sont mobilisés suite au refus du maire de Gennevilliers de prendre en charge deux écoles nouvellement construites pour la scolarisation d’enfants issus de familles immigrées. Parmi ces enseignants, Alain Bourgarel va tenter de porter ce problème au niveau national. A travers un syndicat, il va promouvoir le rapport britannique Plowden qui préconise la création de zones d’éducation prioritaires pour corriger les inégalités scolaires et “l’effet ghetto” de ces écoles.

L’entrée en politique du problème de l’échec scolaire

L’idée qu’il faille mettre en place des zones d’éducation prioritaire se diffuse progressivement au sein du Parti Socialiste, mais elle n’aboutira qu’en 1981 avec la circulaire portée par Alain Savary, Ministre de l’Education Nationale sous François Mitterrand. Il préconise, pour corriger l’inégalité sociale, le renforcement sélectif de l’action éducative dans les zones et les milieux où le taux d’échec est le plus fort. Dans chaque zone d’éducation prioritaire dite ZEP, on doit élaborer un projet spécifique, limité dans le temps, pour éviter qu’une assistance permanente ne crée des ghettos scolaires. Par la suite, les alternances de droite ont mis les ZEP en sommeil, et celles de gauches les ont relancées. Entre 1990 et 1992, leur nombre passe à 530, puis à 663 en 1999.

Une innovation majeure dans le système éducatif français

La politique d’éducation prioritaire est une innovation majeure dans le système éducatif français. D’une part, l’arrivée des ZEP rompt avec la politique d’affectation uniforme des moyens qui a caractérisé la tradition républicaine d’égalité. L’idée d’équité démocratique exige désormais de donner plus à ceux qui ont moins, ce qui constitue une révolution conceptuelle puisque sont mises en place les premières mesures de « discrimination positive ». D’autre part, les ZEP proposent une approche nouvelle car territorialisée du problème de l’échec scolaire. L’orientation posée par ce texte posera les bases de toutes les politiques ultérieures adoptées dans ce domaine par les différents ministères qui se sont succédés.

Une politique rapidement controversée

Cette politique a fait l’objet de plusieurs évaluations tout au long de sa mise en place.  Comme le souligne le rapport Moisan-Simon en 1997, mais aussi le rapport produit par Vincent Peillon et Georges Pau-Langevin en 2013, il existe des disparités récurrentes au niveau des résultats scolaires des différentes ZEP interrogeant sur la nécessité d’en redéfinir le périmètre.

C’est en ce sens, qu’une refondation de l’éducation prioritaire aura lieu en 2014, conduite par Najat Vallaud-Belkacem sous le gouvernement de François Hollande. L’objectif affiché a été de mieux répartir les moyens en prenant mieux en compte les réalités sociales et territoriales. On passe alors des zones d’éducation prioritaire (ZEP) aux réseaux d’éducation prioritaire (REP et REP +). Ils seront redéfinis selon 4 critères : le pourcentage d’élèves issus des catégories sociales les plus défavorisées, de ceux issus des zones urbaines sensibles, des élèves en retard à l’entrée en 6e et du taux de boursiers. Cette réforme sera à l’origine de nombreuses contestations du printemps 2016 à janvier 2017, où entre autres, des grèves seront organisées dans plusieurs dizaines de lycées ZEP qui craignent de ne plus faire partie de la carte de l’éducation prioritaire. Devant une contestation grandissante, Najat Vallaud-Belkacem s’est vue contrainte d’adopter une « clause de sauvegarde » pour que ces établissements soient inclus dans les réseaux d’éducation prioritaires au moins jusqu’en 2019.

Extrait de http://quoideneufdoc.com/enjeux-education-prioritaire-france/

 

Malgré l’alternance politique et les réformes en matière d’éducation prioritaire, aucune n’a abouti à un changement radical puisque les inégalités au sein du système éducatif français se pérennisent quand elles ne se creusent pas.

Et l’égalité des chances dans tout ça ?

L’égalité des chances est une vision de l’égalité qui cherche à faire en sorte que les individus disposent des “mêmes chances”, des mêmes opportunités de développement social, et cela indépendamment de leur origine sociale ou ethnique, de leur lieu de naissance, de leur religion ou toute autre considération. Mais plus qu’une simple égalité des droits, l’égalité des chances consiste dans les faits à favoriser des populations qui font l’objet de discriminations afin de leur garantir une équité de traitement. Elle implique donc que les écarts liés au milieu d’origine soient neutralisés.

Les programmes d’égalité des chances sont néanmoins contestés car rattachés à une vision libérale des choses qui, s’ils ne sont pas assortis de mesures concrètes et efficaces, peuvent devenir un moyen de faire porter sur le seul individu la responsabilité de son échec ou de sa réussite scolaire. Il s’agirait donc en partie de valoriser les « bons éléments » et de s’adresser aux autres en leur disant « s’ils ont pu le faire, vous aussi » en écartant ainsi les raisons structurelles (sociales, économiques, ou du fait du racisme) de leurs difficultés.

Pour illustrer plus concrètement ce fait, voici un tableau montrant les disparités entre le collège Henri IV du Vème arrondissement de Paris, établissement  public non classé en réseau d’éducation prioritaire, et le collège La Vallée d’Epinay sous Sénart en banlieue sud-est de Paris, établissement public classé en réseau prioritaire.

Les écarts se situent d’abord au niveau du taux de réussite aux examens, comme en témoignent les chiffres rapportés par l’Etudiant relatifs à l’examen du brevet, ou encore le taux de mentions obtenues à ce dernier.

Outre les écarts sur les résultats aux examens, la différence est de taille en termes d’accès aux filières d’excellence dans la très déterminante période post-bac. En réseau non prioritaire, en accédant au lycée géographiquement le plus proche, les élèves accèdent aussi à toutes les passerelles pour rejoindre les classes préparatoires des écoles les plus prisées.

Point à première vue positif, la Convention d’éducation prioritaire passée par de nombreux établissements avec Sciences Po Paris permet aux lycéens les « plus méritants » d’intégrer ce haut-lieu en étant dispensés de concours d’entrée. Mais cette minorité peut ensuite être perçue comme illégitime aux yeux de ceux qui ont passé les concours. Cela alimente encore leur stigmatisation.

Déconstruction du mythe de l’égalité des chances

Au-delà du discours sur l’égalité des chances qui permettrait aux élèves les plus intelligents et travailleurs de devenir les leaders de la Nation, il semblerait que l’élite fausse la compétition dès le départ en assurant une avance confortable aux enfants issus des milieux privilégiés. Les réformes des gouvernements successifs ont alors plus une valeur symbolique qu’un impact concret en faveur de l’égalité des chances puisqu’elles favorisent toujours les mêmes populations. Or la mise en place du système d’éducation prioritaire vise précisément à permettre l’égalité des chances entre les élèves. Comme le dirait Patrick Savidan, sociologue, l’égalité des chances apparaît plus comme une utopie, qu’un objectif politique crédible et il est plus que jamais important de la redéfinir.

Astrid MOKOKO et Laura SAHUC

Références:

Ouvrages:

BEST Francine. L’échec scolaire. Que sais-je? Editions Presses Universitaires de France, 1996. 128 pages, chapitre 1, pp 7-15

SAVIDAN Patrick. Repenser l’égalité des chances. Edition Grasset, 2007, 327 pages, pp. 21-157

Rapports:

MOISAN Catherine & SIMON Jacky. Les déterminants de la réussite scolaire en zone d’éducation prioritaire. Edité par le Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, 1997, 82 pages.

PEILLON Vincent & PAU-LANGEVIN Georges. Evaluation de la politique d’éducation prioritaire. 2013, 52 pages.

Circulaire:

SAVARY Alain. Circulaire  n°81-238, 1er juillet 1981, B.O. n°27

Sites internet:

DUBET François. Les paradoxes de l’égalité des chances. Observatoire des inégalités [enligne] 7 janvier 2010. Disponible sur: https://www.inegalites.fr/Les-paradoxes-de-l-egalite-des-chances?id_mot=31 Consulté le 12/11/2017

REVUE FRUSTRATION. Comment l’élite fait le choix de l’inégalité des chances à l’école. Médiapart [en ligne] 12 mai 2015. Disponible sur: https://blogs.mediapart.fr/revue-frustration/blog/120515/comment-lelite-fait-le-choix-de-linegalite-des-chances-lecole Consulté le 15/11/2017

CAP CONCOURS. Directeur de publication: SYLVESTRE Philippe. Des ZEP au REP+ : les politiques d’éducation prioritaire. Rubrique enseignement, système éducatif [en ligne]. Disponible sur: https://www.cap-concours.fr/enseignement/systeme-educatif/grands-principes-acteurs-reformes-organisation/des-zep-au-rep-les-politiques-d-education-prioritaire-ficpra09009#/page3 Consulté le 10/11/2017

Problématique de la difficulté scolaire au collège, Centre régional de documentation pédagogique de l’académie de Dijon (2001) http://www.cndp.fr/crdp-dijon/Problematique-de-la-difficulte.html#nb13 Consulté le 20/12/2017

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