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De Obama à Trump : une alternance politique pour un changement de politique migratoire ?

Photo Bush ; Obama ; Trump : Capture d’écran : Vidéo. Les oreilles de Donald Trump sifflent après les piques de Bush et Obama.

La politique migratoire aux États-Unis est une politique protéiforme avec autour d’elle, des acteurs publics et privés que l’on peut, de manière peut-être caricaturale, classés comme pro ou anti immigration. Ces acteurs portent en eux des représentations multiples et divergentes, qui peuvent influencer les politiques publiques. Ces représentations sociales sont composées d’éléments divers qui ont longtemps été étudiés de façon isolée : des attitudes, des opinions, des croyances, des valeurs et des idéologies. Elles ont une influence sur les prises de décision des acteurs qui fabriquent les politiques. Partant de cette complexité, quel peut être l’effet des représentations de l’immigration, exprimées par les deux derniers présidents des États-Unis  sur la conception des politiques migratoires ?

A représentation opposée de l’immigration, réponse politique différente ?

Pour B.Obama, les États-Unis se sont construits avec l’arrivée de migrants : « nous sommes et nous serons toujours une nation d’immigrants. Nous avons tous été un jour des étrangers ». Il pense que la migration a beaucoup apporté à la société américaine puisqu’elle « nous a maintenu jeunes, dynamiques et entreprenants » (Obama 2014). Cette vision de l’immigration illustre la volonté du Président Obama de réformer la politique migratoire afin de régulariser certaines catégories de migrants. En 2012 il met ainsi en place le DACA (Deferred Action for Childhood Arrivals) qui permet de régulariser de manière temporaire les jeunes majeurs étrangers qui ont fait leur scolarité aux États-Unis[1].

En 2013 une proposition de réforme globale de la politique migratoire a été proposée visant à régulariser de manière temporaire 11 millions de migrants. Obama a soutenu cette initiative et a promis d’émettre son propre projet de réforme si le Congrès temporise. La réforme a été rejetée par la Chambre des représentants à majorité républicaine et Obama a décidé de régulariser plus de cinq millions d’immigrés par décret [2].

Le président Donald Trump a exprimé une vision nettement plus négative de l’immigration. Il a dénoncé les immigrants clandestins mexicains comme étant de « mauvais gens » : « Quand le Mexique nous envoie ses gens, ils n’envoient pas les meilleurs éléments. Ils envoient ceux qui posent problèmes. Ils apportent avec eux la drogue. Ils apportent le crime. Ce sont des violeurs». (Trump 2016)

La politique migratoire de Trump semble en cohérence avec cette vision de la migration. En effet, il a annoncé la suppression du programme DACA mis en place par Obama, a émis un décret présidentiel qui vise à interdire l’entrée aux ressortissants de 7 pays majoritairement musulmans et enfin, il a retiré les États-Unis du pacte mondial des Nations Unies permettant d’améliorer la gestion internationale des migrants et des réfugiés.

Comme le dit Pierre Muller, « les politiques publiques sont des espaces où les différents acteurs concernés vont construire et exprimer un rapport au monde qui renvoie à la manière dont ils perçoivent le réel, leur place dans le monde et ce que le monde devrait être [3]». On peut alors admettre que la politique migratoire soit le résultat des représentations des décideurs sur la migration. Pour autant, l’expression de ces représentations ne peut être isolée du contexte dans lequel elles sont exprimées. Les politiques migratoires ne sont pas détachées du contexte dans lequel elles sont conçues.

 L’effet des attentats terroristes sur les représentations de l’immigration

Les attentats du 11 septembre 2001 font des migrants une menace pour la sécurité nationale. A la suite de cet évènement, selon Catherine Sauviat « les initiatives législatives et exécutives de lutte anti-terroriste intègrent une dimension sécuritaire et répressive au contrôle intensif et minutieux des migrants »[4].

La réforme migratoire d’Obama témoigne de l’intégration de ce volet sécuritaire.  Le budget de la sécurité nationale et de la police des frontières a augmenté considérablement (de 47,4 à 60,4 milliards de dollars entre 2008 et 2014), les frontières ont été renforcées et de nombreux migrants clandestins ont été expulsés [5]. Le contexte post-attentats a cadré le choix des possibles en politique migratoire. Obama a été contraint de montrer sa volonté d’agir pour garantir la sécurité des citoyens états-uniens.

Pour Donald Trump, dont l’immigration a été un point important de son programme présidentiel et l’est aussi de sa politique actuelle, le contexte d’attentats terroristes fait figure de « fenêtre d’opportunité politique » pour mettre en place et légitimer des politiques anti-migratoires au nom de la sécurité nationale.

Les attentats terroristes de 2001 et ceux qui se sont déroulés plus récemment ont servi de cadre à la construction d’une représentation négative de l’immigration. La prise en compte de cette représentation dominante dans l’étude des politiques migratoires de Obama et Trump nous permet de comprendre l’existence de similitudes dans ces politiques malgré l’alternance politique. Les mesures sécuritaires visant à limiter la migration, que ce soit par l’expulsion des migrants ou par l’interdiction d’entrée de ces derniers, ont été présentes dans les mandats des deux présidents. Pour autant, ce contexte n’est pas qu’un environnement avec lequel il faut faire, il est travaillé, utilisé par les acteurs de la mise en œuvre des politiques migratoires.

La justice, la rue et les groupes d’intérêt

Les politiques migratoires de Obama et Trump ont été confrontées aux pressions et oppositions issues des institutions judiciaires, des mouvements sociaux et de groupes d’intérêts.  Malgré l’existence d’une représentation dominante de la migration, ce sujet fait débat au sein de la société américaine. De nombreuses organisations et acteurs sociaux mènent des actions visant à influencer et orienter les politiques migratoires.  Par exemple, les organisations de défense des droits des migrants ont fait pression sur le gouvernement Obama afin qu’il tienne sa promesse de campagne et régularise une partie des migrants. Cependant, les mesures de régularisation mises en place par Obama se sont heurtées aux oppositions de 26 États gouvernés par des républicains et finalement un juge fédéral s’est saisi de la question et a ordonné un gel durable de ce programme [6].

Le décret anti-migration de Trump a quant à lui provoqué des contestations de la part d’associations en défense des droits civiques. De nombreux activistes se sont rassemblés dans les aéroports afin de demander la libération des personnes retenues par les services migratoires à cause du décret. Les associations de défense des droits civiques ont saisi une juge fédérale qui a provisoirement interdit l’expulsion des migrants retenus dans les aéroports et leur a permis d’entrer sur le territoire.

Photo : Mr Donald Trump New Hampshire Town Hall on August 19th, 2015 at Pinkerton Academy in Derry, NH by Michael Vadon

En réponse à cette décision D. Trump a proposé un nouveau décret interdisant de manière permanente l’entrée aux ressortissants de sept pays et aux fonctionnaires Vénézuéliens. Les organisations de défense des migrants, à l’exemple du National Immigration Law Center, ont dénoncé l’intention de porter atteinte aux musulmans. Aussi, le dernier décret a été bloqué par un magistrat de Hawaï affirmant que le texte « effectue à l’évidence une discrimination fondée sur une nationalité » et ne peut pas démontrer en quoi le permis d’entrer sur le territoire à plus de 150 millions de ressortissants des pays visés « « nuirait aux intérêts des États-Unis ». (Juge Watson 2017) Cependant, malgré les oppositions des juges fédéraux au décret, la Cour suprême  a autorisé son application interdisant ainsi l’entrée aux ressortissants de 6 pays musulmans, le Venezuela et la Corée du Nord.  Bien qu’il s’agisse d’une victoire pour Trump, ce sujet doit encore être traité par des tribunaux fédéraux. La bataille judiciaire continue.

De plus, certains groupes d’intérêts économiques s’opposent à la politique migratoire de Trump notamment à la suppression du programme de protection des jeunes sans papiers. En effet, le secteur agricole, l’hôtellerie et le bâtiment sont très dépendants de la main d’œuvre immigrée. Ces tâches ne sont pas accomplies par les américains qui, de plus en plus diplômés, aspirent à des emplois plus qualifiés. Ainsi, Trump mais également Obama ont dû faire face à des pressions de la part des groupes patronaux qui les encouragent à régulariser les travailleurs clandestins afin de servir l’économie américaine. Ces intérêts sont également défendus par la plupart des démocrates et quelques républicains qui cherchent à influencer les décisions de Trump. Récemment, deux représentants démocrates de la chambre des représentants et du sénat ont rencontré Trump pour trouver un compromis sur la situation des « dreamers » et celui-ci souhaite désormais protéger les jeunes étrangers d’expulsion tout en renforçant la sécurité des frontières.

Changement de ton, continuité dans les faits

Les représentations de Obama et Trump sur la question migratoire jouent un rôle important dans la conception des politiques car la manière dont ils perçoivent cette problématique détermine les réponses politiques qui sont apportées. Pour autant, les politiques migratoires sont également le résultat d’une multitude de facteurs qui contribuent à les façonner et les transformer et limitent ainsi le volontarisme politique.

La représentation dominante de l’immigration dans un contexte d’attentats terroristes délimite le choix des possibles en politique. Cela dit, les politiques migratoires sont également l’objet d’actions de la part d’acteurs sociaux qui souhaitent imposer leur vision de l’immigration et influencer la conception des politiques.  Les oppositions aux politiques migratoires peuvent prendre la forme de blocages juridiques qui limitent concrètement la portée et la mise en œuvre des politiques. Ainsi, la politique migratoire est le fruit d’un compromis visant à prendre en compte deux représentations opposées de l’immigration afin de contourner les barrières institutionnelles et les oppositions sociales. Ceci nous permet d’expliquer les contradictions de la politique d’Obama (régulariser des migrants en même temps qu’il en expulse) et les inflexions de la politique de Trump (protéger les « dreamers » en contrepartie d’un renforcement des frontières). Il est encore tôt pour savoir si les autres politiques anti-migratoires de Trump pourront aboutir, mais du fait des contraintes institutionnelles et sociales, l’alternance politique Obama-Trump représente un changement radical dans le discours mais pas vraiment dans  les faits.

Bosli, A. ; Cailleux, R ; Carrion D. ; Diouf J.

[1] Sauviat Catherine. « Obama et les immigrés : les illusions perdues ». Plein droit, 2015/3 (n° 106). P 24-27.

[2] Ibid.

[3] Muller Pierre. « L’analyse cognitive des politiques publiques : vers une sociologie politique de l’action publique », Revue française de science politique, 2000/2 (Vol. 50).P 189-208.

[4] Catherine Sauviat, op. cit.

[5] Catherine Sauviat, op. cit.

[6] Catherine Sauviat, op. cit.

Références

Cohen James.  « De Bush à Obama, la réforme bloquée du contrôle de l’immigration », Amérique Latine Histoire et Mémoire. Les Cahiers ALHIM 27 janvier 2012[En ligne]. Consultation le 15 novembre 2017.

David, Charles-Philippe. 2011. « De Bush à Obama : l’effet 11 septembre sur la prise de décision à la Maison-Blanche », Politique étrangère, vol. automne, no. 3. P 521-533

Gutiérrez Ramon. 2007. « George W. Bush and Mexican Immigration Policy ». Revue française d’études américaines, 2007/3 (n° 113). P 70-76.

Mandeville Laure. 21/11/2014. Le plaidoyer de Barack Obama pour l’immigration. [En ligne]. Consulté le 10/12/2017.

Mandeville Laure. 29/01/2014. Barack Obama dévoile sa réforme de l’immigration. [En ligne]. Consulté le 10/12/2017

Muller Pierre. « L’analyse cognitive des politiques publiques : vers une sociologie politique de l’action publique », Revue française de science politique, 2000/2 (Vol. 50). P 189-208.

Sauviat Catherine. « Obama et les immigrés : les illusions perdues ». Plein droit, 2015/3 (n° 106). P 24-27.

 

 

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