La question identitaire a toujours suscité des débats passionnels. C’est une notion floue, parfois décriée, parfois idolâtrée mais toujours difficile à cerner. Quelle est son origine et comment la politique française y répond-elle ?
« Qu’est-ce qu’une Nation ? »[1] Telle est la question posée par Ernest Renan dans une conférence de 1882. Il définit alors la nation française comme « une âme, un principe spirituel, elle suppose un passé, elle se résume pourtant dans le présent par un fait tangible : le consentement, le désir clairement exprimé de continuer la vie commune. L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours »[2]. Ernest Renan fait remonter les origines de la nation à la Révolution Française, qui donne naissance à la déclaration des droits de l’Homme. L’homme devient alors une entité à part entière, distincte du groupe. L’individualisme va transparaître dans l’idée même de la nation française, et par corrélation dans l’identité française. « On est homme par nature et Français par choix »[3]. Renan justifie ainsi l’appartenance indéfectible de l’Alsace et la Lorraine, annexées par l’Allemagne pendant la guerre de 1870, à la Nation française. Rejetant de facto la vision Allemande portée par l’intellectuel Strauss[4] qui légitime l’annexion des deux provinces par le fait qu’elle serait germanique par la langue ou la race.
Mais au XXIe siècle, marqué par de nouveaux enjeux, dans un monde de plus en plus globalisé, la France se cherche et doit faire face aux ingérences d’autres entités, régionales ou internationales, qui remettent ainsi en cause la souveraineté nationale. Le discours de mars 2007, du candidat à la présidentielle, Nicolas Sarkozy pose ainsi la question « Qu’est-ce que la France ?». Il introduit ainsi un débat sur l’identité nationale[5]. Fraîchement élu Président, il crée un ministère de l’immigration et de l’identité nationale. Sa défaite en 2012 et l’élection du socialiste François Hollande n’arrêtent pas la résurgence de la problématique identitaire dans le débat public. Au contraire, dans un contexte affecté par la montée des extrémismes, de la menace terroriste, de la radicalisation et d’une grande vague migratoire vers l’Europe, la crise identitaire semble s’accélérer.
Ces problématiques ont entraîné une multitude de questionnements et de discordes. En 2016, la proposition de révision de la constitution pour y intégrer la déchéance de nationalité pour « des individus condamnés pour une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation », a entraîné de vifs débats et la démission de la ministre Christiane Taubira en désaccord avec le gouvernement. Pour l’historien Patrick Weil, cette proposition créerait une division entre les Français, en permettant un traitement différent pour les binationaux, seuls visés par la déchéance de nationalité. Malgré l’abandon de la proposition, le débat a laissé des cicatrices.
Cet été, la polémique sur le port du burkini a remis en évidence une autre divergence d’opinion. Certains Maires ont pris des arrêtés d’interdiction, sur le fondement d’une tenue manifestant de manière ostensible une appartenance religieuse. Le Conseil d’État les annulent sur la base d’une atteinte grave aux libertés fondamentales prônées par la constitution[6]. En réalité, c’est un débat sur le multiculturalisme qui en découle et la place de la religion dans un pays laïc.
La laïcité est une des composantes de l’identité de la République Française. On la retrouve dès le premier article de la constitution qui stipule que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale »[7]. C’est d’abord un régime juridique fondé sur la liberté de conscience et la séparation stricte de l’Église et de L’État introduite par la loi du 9 décembre 1905[8]. La laïcité fait prévaloir la communauté des citoyens sur celle de n’importe quel groupe religieux. Aujourd’hui, l’utilisation du terme « laïcité », semble permettre de repousser la religion dans la sphère privée. La polémique sur le port du burkini a remis sur le devant de la scène politique la question de la manifestation de la religion dans l’espace public. La problématique avait déjà été soulevée avec l’affaire du foulard en 1989, lorsque deux jeunes filles ont été expulsées de leur collège à Creil pour avoir refusé de retirer leur voile. Après une décennie de débats, cela a abouti en 2004 à une loi interdisant tout signe religieux ostentatoire dans les écoles publiques[9]. Cela n’a pour autant pas résolu la question sensible du port du voile. En 2010, c’est « la dissimulation du visage dans l’espace public »[10] qui est interdite, à savoir le port de la burqa ou du niqab.
Les polémiques se succèdent au nom de la laïcité, qu’elles concernent la mise en avant de crèches dans les établissements publics lors des périodes de fête, la présence de menus de substitution pour les enfants et plus récemment le report du rattrapage du bac pour cause de ramadan. Le politologue Patrick Weil dénonce une confusion actuelle entre la laïcité et le combat pour faire reculer l’impact des religions, « que l’on pourrait appeler un combat non pour la liberté mais pour la libération des consciences ».
Derrière ces polémiques semble se cacher la peur d’une dérive communautaire susceptible de menacer la cohésion nationale. Dans le débat qui veut mettre en opposition liberté culturelle, cultuelle et laïcité, les Français ont toujours choisi des leaders à la pensée modérée. A l’aube de l’élection présidentielle, les candidats de la primaire de la droite et du centre ont présenté des solutions pour répondre à la crise identitaire.
Alain Juppé, François Fillon : Quelles solutions ?
Dans son programme [11], le vainqueur de la primaire de la Droite et du Centre, François Fillon, fait directement référence à la question identitaire. Il la mentionne dans ses propositions de politiques relatives à la culture et à l’immigration. Il constate que la culture est le socle de l’identité, de l’histoire et du mode de vie des Français. Il estime qu’une politique d’apprentissage de la langue française et de l’histoire, ainsi qu’une politique « d’intégration des nouveaux arrivés »11 sont impératives pour sa préservation. L’ambition est d’instaurer une « politique culturelle volontariste et déterminée »11, qui inspire et rassemble les Français. Concernant l’immigration, François Fillon estime que « devenir Français, c’est un choix qui doit être réciproque »11. Selon lui, la France ne peut aujourd’hui répondre au défi migratoire auquel elle est confrontée et « accueillir une immigration supplémentaire »11. Ce regard implique, selon-lui, de « faire en sorte que l’immigration ne soit plus une charge »11 pour la France, par l’interruption de la distribution des principales prestations sociales aux résidents étrangers jusqu’à la troisième année de leur séjour. C’est une politique qui vise à « subordonner l’acquisition de la nationalité française à l’assimilation des étrangers »11. Il prévoit de repousser l’âge de la naturalisation des enfants nés en France de parents étrangers à 18 ans, et obliger ceux qui souhaitent se naturaliser à obéir aux démarches d’intégration. François Fillon propose ainsi la mise en place de quotas annuels d’immigrés par vote parlementaire. Cette politique est étroitement associée avec la préservation de la culture française mentionnée ci-dessus, qui, selon le candidat à la primaire de la Droite et du Centre, « constitue le pilier de l’identité »11.
Le programme de son challenger, Alain Juppé, dont le slogan est « l’identité heureuse »[12] repose plus directement encore sur les questions identitaires. L’identité heureuse » fait rimer l’identité avec la diversité et l’unité. La diversité des origines des Français est alors une « richesse et une force, et il ne faut pas chercher à (les) effacer en prétendant faire couler tout le monde dans le même moule ». Pourtant, le maire de Bordeaux propose deux conditions pour le respect des différences. D’abord, continuer dans la voie anti-communautariste, et faire converger la diversité vers l’unité. Contrairement à son adversaire, Alain Juppé voudrait alléger la politique du droit du sol. Il propose qu’un enfant né en France de parents étrangers puisse acquérir la nationalité si un des deux parents disposait d’un titre de séjour au moment de la naissance de l’enfant. Cependant, il partage l’idée de François Fillon selon laquelle il est nécessaire de fixer des quotas annuels d’immigration par un vote parlementaire.
Le maire de Bordeaux propose également l’adoption d’un code de la laïcité pour préciser les règles qui s’imposent « à tous et toutes les religions »12. Pour cela, il voudrait mettre en place des sanctions pour les violations de la laïcité et par ailleurs établir un accord entre la République et l’Islam de France dans le but d’éradiquer l’Islam radical du territoire. Selon lui, il existe une lecture du Coran qui est compatible avec les lois et les coutumes de la République, mais il faut « travailler avec détermination à poser des règles claires entre les musulmans qui partagent cette conviction et la République »12. Cet accord imposerait aux imams de prêcher en français dans les mosquées et de suivre une formation portant sur les valeurs de la France avant de pouvoir exercer leurs fonctions.
Les deux hommes politiques développent deux points de vue sur les réponses à apporter à la crise identitaire mais ces solutions peuvent-elles être un vecteur de cohésion nationale ? Telle est la question qui se pose à la veille de l’élection présidentielle. Dans le contexte de la montée du nationalisme à l’échelle mondiale, l’élection du Président de la République Française, en 2017, aura une importance capitale sur le traitement de la question identitaire.
Coécrit par Zitania Badat, Fatoumata Diack et Elizabeth Schall