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La difficile réforme des politiques pénitentiaires

La prison d’Ushaia

Selon la direction centrale de la Police Judiciaire, le taux de criminalité est globalement en baisse depuis 2001[1]. Toutefois, cette baisse de la criminalité s’est accompagnée d’une hausse du nombre de détenus, entraînant un taux plafond de surpopulation de 117% en août 2016. Ces évolutions paradoxales peuvent s’expliquer par un durcissement pénal : 29 nouvelles lois, entre 2002 et 2012, créent de nouveaux crimes et délits passibles d’incarcération. De plus, la France connaît un taux de récidive qui atteint les 60% et un taux d’échec de réinsertion socio-professionnelle des détenus frôlant les 75%[2].

Poursuivie à partir de 2009 et finalement condamnée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme pour les conditions de détention dans ses prisons, la France oriente l’essentiel du budget dédié vers la gestion des installations et la création de nouvelles places. Depuis 2012, 2 milliards d’euros ont ainsi été consacrés à la construction de nouveaux centres pénitentiaires. Parallèlement, les budgets alloués aux services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) des détenus, c’est-à-dire ceux qui assurent le suivi des prisonniers, étaient de 24,6 millions d’euros en 2016. Cette somme représente moins de 2%[3] du budget total de l’administration pénitentiaire. La faiblesse des moyens se répercute sur les dispositifs d’accompagnement des détenus[4]. Ainsi, les conseillers d’insertion et de probation subissent une lourde surcharge de travail, puisqu’ils gèrent en moyenne 100 dossiers par an lorsqu’ils devraient en gérer 40[5].

L’instrumentalisation des questions de sécurité

Ces orientations budgétaires peuvent être liées à la place que les médias français accordent aux faits divers liés à la délinquance et à la criminalité. En en faisant leurs Unes, ils contribuent à renforcer le sentiment d’insécurité et à légitimer l’orientation punitive de cette politique. ACRIMED accuse, par exemple, les médias d’être “les pyromanes de l’insécurité”. Cette instrumentalisation médiatique du débat autour de la sécurité permettrait aux politiques de légitimer leurs discours sécuritaires auprès des électeurs. Dans la continuité de cette thèse, Jean Gabriel Piquet et Valentin Schmite[6] analysent la mise à l’agenda politique des questions relatives au milieu carcéral à partir de la stratégie de l’étiquetage : nommer, dénoncer, revendiquer. Selon eux, la mise en débat de la politique pénitentiaire résulte directement de l’instrumentalisation des problèmes d’insécurité et de violence. Les acteurs politiques ont saisi l’intérêt de cette pratique pour justifier leurs programmes électoraux. Il s’agit, dans un premier temps, de désigner les situations qui posent problèmes – à savoir la surpopulation des prisons, les taux de récidive ou l’insalubrité des installations – puis de dénoncer les gouvernements qui n’ont pas su y apporter de réponses, pour mieux revendiquer la construction de nouveaux centres pénitenciers ou bien justifier un renforcement des normes sécuritaires.

Dans cette logique, la majorité des candidats à l’élection présidentielle de 2017 s’orientent vers un durcissement général des peines et l’ouverture de nouvelles places de prisons. Ainsi, le candidat du parti Les Républicains François Fillon propose l’ouverture de 16 000 places et un durcissement des peines contre les récidivistes[7]. Dans la continuité du mandat de Nicolas Sarkozy, il souhaite le rétablissement de la loi Dati, instaurant les peines planchers[8] pour les récidivistes. Par conséquent, aucun aménagement de peine ne serait accordé et l’emprisonnement ferme resterait la solution privilégiée de lutte contre la délinquance. Les syndicats de magistrats soutiennent pourtant que la mise à disposition de nouvelles cellules n’a pour effet qu’une augmentation de l’incarcération et ne résout en rien les problèmes d’insalubrité et de surcharge du personnel des SPIP. Jean-Luc Mélenchon insiste ainsi sur la nécessité d’investir dans les moyens humains d’accompagnement et de suivi des écroués afin de lutter contre la récidive. D’autres acteurs, contestataires, viennent également critiquer le “tout-carcéral” que défendent une partie des candidats à la présidentielle de 2017. Des associations ou observatoires[9] prônent ainsi un assouplissement des sanctions pénales voire même défendent des théories qui « visent à réformer en profondeur – voire abolir – l’ensemble du système pénal »[10]. L’objectif est de mettre en avant les paradoxes de la prison. Mais ces discours ont actuellement peu d’écho sur les scènes médiatique et politique.

Cette orientation du débat vers les questions sécuritaires ne remet que partiellement en question le fonctionnement de la politique pénitentiaire, notamment sur la question de la réinsertion. Le débat reste largement centré sur les solutions répressives. Pour autant, ce phénomène de cadrage du problème n’explique pas à lui seul la difficulté de réformer cette politique ; la dépendance au sentier joue aussi un rôle essentiel.

Conservatisme politique et dépendance au sentier institutionnel

La réforme pénale de 2014, proposée par la Garde des Sceaux Christiane Taubira, visait à apporter une réponse aux problèmes de récidive et de surpopulation carcérale par la création d’un nouveau type de peine, la contrainte pénale. Celle-ci permet de remplacer l’incarcération par un certain nombre d’interdictions et d’obligations, la prison ferme étant alors applicable uniquement en dernier recours. Cette réforme représente ainsi une rupture radicale avec la gestion traditionnelle de la réinsertion et suscite de nombreux débats. Les opposants politiques à la réforme Taubira, présents dans les partis de gauche comme de droite, accusent la Garde des Sceaux de laxisme, d’encouragement à la délinquance et de renforcer le sentiment d’impunité.

Si cette réforme a finalement été adoptée par le parlement le 17 juillet 2014, elle reste timidement appliquée. Ainsi, même si 96% des condamnations en attente d’exécution en 2016 l’étaient pour des peines d’emprisonnement inférieures à deux ans, de fait potentiellement aménageables en contraintes pénales, on compte seulement 85 condamnations à une contrainte pénale contre 10 200 peines d’emprisonnement mensuelles. Ce décalage peut fournir une illustration de la théorie de Path Dependence ou Sentier de Dépendance. En effet, cette théorie appliquée à la question des politiques pénitentiaires par les chercheurs W. Streeck et K. Thelen[11], puis reprise par P. Lascoumes[12] démontre la faible adaptation des institutions judiciaires qui restent dépendantes d’un sentier peu sensible au changement. Ainsi, la réforme pénale représentait une sortie trop brutale de ce sentier, changeant considérablement l’utilisation de la prison par les pouvoirs publics. Jusque-là, les autorités semblaient appliquer la doctrine du “juste dû” développée par P. Combessie [13]. La prison était ainsi vue comme un outil uniquement punitif, où l’individualité du détenu et les raisons de ses actes n’étaient pas prises en compte. La réforme Taubira, inscrit la justice dans la doctrine de la ‘‘détention positive’’. L’incarcération n’est plus simplement punitive, elle doit aussi permettre une réhabilitation de l’individu condamné.

Le manque de communication entre les acteurs judiciaires et pénitentiaires ainsi que leur application ou non-application de la réforme constitue un facteur explicatif supplémentaire de la résistance au changement. Les magistrats, bien qu’en contact direct avec les détenus, restent imperméables aux réalités carcérales de l’établissement dans lequel est placé le condamné. Pour connaître les conditions de détention, ils doivent eux-mêmes s’informer du niveau de surpopulation, de la disponibilité des agents de probation ou encore du suivi psychologique dont peuvent bénéficier les détenus. Si les rencontres entre magistrats se multiplient pour étudier les conditions d’application de la réforme pénale, il reste difficile de modifier largement et rapidement le mode de sanction appliqué.

Les habitudes et la frilosité des acteurs, combinées aux leçons de la théorie de Path Dependence, mettent en exergue la difficulté de réforme de ces politiques. La priorité donnée à l’enfermement et l’instrumentalisation de l’insécurité ne permettent pas, pour l’heure, de réorienter les préoccupations des décideurs vers la réinsertion et les problématiques de la récidive. Le successeur de Christiane Taubira, Jacques Urvoas a récemment reconnu le bilan mitigé de la réforme pénale et a, à son tour, annoncé la nécessité d’ouvrir de nouvelles places de prisons ; ce qui pourrait s’interpréter comme un retour progressif au “tout sécuritaire”.

Coécrit par Thibault Dubois, Robin Humeau et Julia Monjanel

[1] Le taux de criminalité est passé de 68,53 en 2001 à 56,31 en 2015 (pour 1000 hab)
[2] http://www.justice.gouv.fr/include_htm/reforme_penale_chiffres_cles_plaquette.pdf
[3] https://blogs.mediapart.fr/observatoire-international-des-prisons-section-francaise/blog/130716/personnels-penitentiaires-la-filiere-insertion-en-quet
[4] http://www.justice.gouv.fr/include_htm/reforme_penale_chiffres_cles_plaquette.pdf En 2014, 38% des personnes incarcérées depuis moins de 6 mois souffrent d’addiction aux drogues. 40% des détenus sont atteints de syndromes dépressifs, 21% de troubles psychotiques
[5] Ne permettant qu’un suivi purement administratif et non individualisé
[6] PIGUET Jean-Gabriel et SCHMITE Valentin (2013), “Analyse d’une politique publique à venir: La loi Taubira”, Science-Po
[7] http://www.ifrap.org/comparateur
[8] La «peine plancher» ou peine minimale implique l’obligation pour le juge de prononcer la peine privative de liberté édictée par la loi sans pouvoir retenir une peine moins forte.
[9] On peut citer l’association GENEPI ou encore l’observatoire international des prisons
[10] Combessie Philippe (2009), « Sociologie de la prison », La découverte, p. 55-70.
[11]  (STREECK W., THELEN K., 1995, Beyond Continuity, Institutional Change in Advanced Political Economies, Oxford, Oxford University Press.)
[12] LASCOUMES Pierre (2006), « Ruptures politiques et politiques pénitentiaires, analyse comparative des dynamiques de changement institutionnel », Déviance et Société, 3/2006 (Vol. 30), p. 405-419.
[13] P. Combessie distingue 4 types de doctrines :
La doctrine du traitement : la prison se veut rédemptrice en prônant la solitude du détenu pour qu’il réfléchisse à ces actes, il est considéré comme malade social, la politique pénitentiaire et ses outils doivent permettre de le soigner.
La doctrine de la défense sociale : On ne cherche plus à évaluer la responsabilité de l’individu mais sa dangerosité afin de protéger la société et l’ordre social.
La doctrine du juste dû : le principe d’individualisation des peines est rejeté, il ne peut y avoir de négociation pour un éventuel aménagement de peine.
La doctrine de la détention positive : elle peut s’assimiler à la technique de la carotte et du bâton, un système basé sur les récompenses et les sanctions avec une individualisation du suivi des détenus.
Sources : 
COMBESSIE Philippe (2009), « Sociologie de la prison », La découverte, p. 55-70.
FOUCAULT Michel (1975), “Naissance de la prison, Surveiller et Punir”, Gallimard.
LASCOUMES Pierre (2006), « Ruptures politiques et politiques pénitentiaires, analyse comparative des dynamiques de changement institutionnel », Déviance et Société, 3/2006 (Vol. 30), p. 405-419.
PIGUET Jean-gabriel et SCHMITE Valentin (2013), “Analyse d’une politique publique à venir: La loi Taubira”, Science-Po.

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