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Le lobbying citoyen face à la convention citoyenne du climat

Lobby citoyen : de quoi parle-t-on ?

Les lobbies citoyens se livrent aux mêmes activités que les lobbyistes traditionnels, comme tenter de persuader les fonctionnaires, faire pression sur eux, mobiliser d’autres citoyens et transmettre des informations à la fois au public et aux fonctionnaires. Bien qu’ils diffèrent des lobbyistes traditionnels dans le sens où ils défendent des intérêts moraux et non économiques, ils ont pratiquement les mêmes modes opératoires. Leurs répertoires d’action sont similaires sur plusieurs points : manifestation publique, militantisme, prise de position publique, etc. Comme le mentionne (Olsen 2015 : 138) le lobby citoyen est un organe consultatif qui informe et fait des recommandations aux élus. Son rôle n’est pas de remplacer, mais d’équilibrer, la voix du lobbying institutionnel.

La participation des lobbies dans le cadre la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC), a été soulignée par plusieurs médias. Certains vont jusqu’à affirmer que « les lobbies ont saboté la CCC ». Alors, quelle a été réellement l’influence des lobbies pendant et après l’élaboration des propositions de lutte contre le réchauffement climatique? Ont-ils réellement saboté la convention ?

La gouvernance de la convention

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE), principal animateur de la Convention, a été chargé de son organisation et du tirage au sort des 150 citoyens membres de la Convention. Avec le ministère de la Transition écologique, le CESE a installé un Comité de gouvernance, chargé de piloter les travaux de la Convention citoyenne du climat. Le Comité de gouvernance, second animateur de la Convention, est composé principalement de deux présidents, d’un rapporteur et de douze experts dont trois du climat, trois de la démocratie participative, et quatre du champ économique et social. Outre ses membres permanents, le comité intègre régulièrement des citoyens tirés au sort. En effet, établir des mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % d’ici à 2030 en conciliant justice sociale et climatique, n’est pas une tâche évidente pour des citoyens tirés au sort et dont certains ne disposent pas des connaissances nécessaires pour débattre sur le climat. C’est pour cette raison que la Convention a auditionné de nombreux experts chargés de former les 150 citoyens tirés au sort et de les accompagner dans leur mission. Cependant, en dehors de l’accompagnement des experts, ils ont pu compter sur leurs propres réseaux et/ou expériences personnelles pour s’éclairer ou débattre du climat. Un mode de fonctionnement qui n’est pas sans impact sur l’élaboration des propositions.

Des citoyens sous influence !

Le panel des 150 Français tirés au sort constitue selon le président du CESE la « France en miniature » car il regroupe toutes les catégories socio-professionnelles de la population française.

Les citoyens tirés au sort se compose 7 de :
– 49% d’hommes et 51% de femmes ;
– 13% d’étudiants, 21% de diplôme supérieur au Bac ; 19% au niveau bac ; 21% CAP ou BEP ; 26% de sans diplôme ou CEP/BEPC ;
– 1% d’agriculteurs, 4% d’artisans-commerçants-chefs d’entreprises ; 9% cadres supérieurs et professions libérales ; 16% professions intermédiaires ; 16 % employés ; 10 % ouvriers ; 27 % retraités et 18% inactifs.

En fonction de leurs profils, expériences ou intérêts personnels pour les questions climatiques, il est fort probable que certains citoyens tirés au sort aient pu d’une manière ou d’une autre influencer les débats. En effet, tous n’ont pas le même niveau de connaissances et quelques-uns affirment avoir contacté de leur propre chef des experts pour s’informer. C’est le cas par exemple de Muriel Raulic (membre des 150 participants), qui affirme ne pas disposer de toutes les connaissances. Elle s’est rapprochée des experts pour apprendre et construire ses arguments. Il en est de même pour un jeune membre de la CCC, Nicolas, qui a également fait des démarches personnelles auprès de climatologues, afin d’ « avoir un impact plus important sur les mesures que je pouvais proposer. » Hormis les initiatives d’acquisition de connaissance sur le sujet, les citoyens de la CCC ont organisé diverses activités (soirée-débat, réunion, etc.) pour discuter de la Convention et lancer des idées durant leurs mandats. À l’exemple de Yolande, une militante dans plusieurs associations (sortir du nucléaire, Greenpeace, Extinction Rébellion) et membre du conseil municipal de Douarnenez (Finistère), qui a rassemblé quatre-vingts personnes dans sa ville pour débattre sur le climat.

L’influence des experts chargés d’encadrés la convention

Les principaux experts sont le groupe d’appui et le comité légistique installés par le Comité de gouvernance.
– Le groupe d’appui regroupe quatorze experts chargés d’éclairer et d’aider les membres de la Convention dans l’élaboration des propositions. Les experts du groupe d’appui sont sollicités « au titre de leurs expériences et compétences personnelles» et non au titre des structures pour lesquelles ils travaillent.
– Le comité légistique, composé de 5 experts, est mandaté par le comité de gouvernance pour conseiller et accompagner les membres de la Convention à faire une transcription juridique et réglementaire de leurs propositions.

Les experts du groupe d’appui et du comité légistique sont issus de divers secteurs : université, ONG, entreprise, administration, etc. Outre ses experts, près de 140 experts ont été auditionnés pour accompagner les 150 membres de de la convention à construire les propositions. Parmi les experts auditionnés, figurent aussi des fonctionnaires et hommes politiques à l’exemple du premier ministre ou encore de la ministre de la transition écologique et solidaire ou encore l’ancien ministre écologiste Nicolas Hulot. Face à des citoyens tirés au sort qui n’ont pas tous une solide culture des questions climatiques, l’impact de la parole de ces experts n’est pas négligeable.

Dans un article du Monde, qui s’intéresse au « rôle des experts dans la formation de l’opinion », le témoignage de certains membres des comités d’organisations de la Convention démontre une influence parfois indirecte des experts.
Le rôle d’expert est difficile. Comme le rapporte Benoît Léguet, l’un des membres du comité d’appui, « il nous fallait apporter aux citoyens des faits et non des opinions, les aiguiller vers des sources, en étant en permanence sur le fil du rasoir car l’expert totalement objectif et neutre n’existe pas ». Tout en convenant que l’ expert n’est pas neutre », le co-président du Comité de gouvernance de la CCC, Thierry Pech, considère que les experts ont joué leur rôle et qu’ « ils n’ont ni orienté ni porté de jugement normatif sur les propositions des citoyens qui pouvaient être faites ».

Toutefois, selon Dimitri Courant, chercheur en science politique à l’Université de Lausanne et à l’Université Paris-VIII-Saint-Denis, « …le groupe d’appui a eu un accès illimité aux citoyens et leur a même parfois suggéré la rédaction de certaines propositions […]. Le comité de gouvernance, qui a à la fois organisé les débats et proposé des noms d’experts, avait travaillé avec certains d’entre eux ».

Pour Maxime Gaborit, doctorant à l’université Saint-Louis, à Bruxelles, la convention citoyenne est « une construction entre les citoyens et les experts, faite de nombreux allers-retours, un réseau complexe avec des rapports de pouvoir, d’influence ». De ce fait, au regard de ces témoignages, il est évident que les experts ont influencé les 150 citoyens de la convention. Certains témoignages démontrent même que certains experts ont intentionnellement voulu défendre leurs propres intérêts. Il s’agit là d’une influence similaire au lobbying.

C’est le cas par exemple du PDG d’Aéroports de Paris, qui selon les propos d’une participante, a voulu «”vendre” des avions verts sans évoquer la privatisation et l’agrandissement de Roissy […] ». Elle ajoute : « On nous demande de réfléchir à la façon de réduire les gaz à effet de serre et on le fait venir, lui. C’est du lobbying, il n’a rien à faire ici !». De la même manière, un pro-nucléaire est intervenu avec une autre casquette, celle de PDG de Système U ou de membre de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles). L’influence des lobbys pendant le processus d’élaboration des mesures est belle et bien réelle. Alors ont-ils vraiment saboté la Convention Citoyenne du Climat ?

L’impact des manœuvres lobbyistes sur la Convention Citoyenne sur le Climat

Il est question ici de l’analyse de l’impact des lobbies sur les propositions établies par la Convention pour savoir dans quelle mesure ils ont saboté la CCC. En effet, des voix parmi les citoyens de la Convention dénoncent la non prise en compte de leurs mesures par le Gouvernement dans le projet de loi n°3875 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dit loi climat. En comparant et en scrutant les propositions de la Convention Citoyenne et le projet de loi climat, on découvre que seules 66 mesures des 149 propositions ont été retenues dans le projet de loi qui est sensé traduire législativement lesdites propositions « sans filtre ».

Seules 44% des propositions ressortent dans le projet de la loi climat. Toutefois, ce chiffre peut être porté jusqu’à 46% après décryptage des articles de loi. Factuellement, il apparaît que ce projet de loi ne répond pas à l’objectif fixé : réduire d’au moins 40% les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990), dans le respect de la justice sociale parce que moins de la moitié des propositions ont été reprises ou, dans le meilleur des cas, elles sont amoindries. C’est dans ce sens, que les membres de la Convention tirés au sort, sont insatisfaits de la traduction législative de leurs mesures établies. Ils ont accordé une note de 3,47 sur 10 à cette traduction. Si cet « échec » de la Convention Citoyenne pour le Climat est attribué aux rôles joués par les lobbys, c’est parce qu’ils ont usé de leur stratégie pendant la traduction législative des propositions pour défaire les propositions initiales.

Conclusion : le lobby citoyen a-t-il saboté la Convention Citoyenne sur le Climat ?

Les lobbys citoyens s’opposent aux lobbys industriels. Ils se présentent comme des défenseurs de la voix des citoyens, des « intérêts commun de la société dans les débats publiques ». D’ailleurs, ils font partie des voix qui militent devant l’Assemblée pour que la loi climat corresponde aux propositions de la CCC. Généralement, ils travaillent avec des ONG pour avoir plus d’impact sur les décideurs. Pendant les neuf mois d’élaboration des mesures de la CCC, plusieurs experts dont des personnes issues d’ONG ont pu influencer les citoyens chargés d’élaborer les mesures. Si les lobbies citoyens ont pu influencer les avis des membres de la convention pendant le processus de la convention, cette influence a été faite par l’intermédiaire d’experts intervenus lors des sessions. Il est difficile de dire que les lobbies citoyens ont impacté négativement la Convention car ils défendent les intérêts des 150 citoyens membres de la Convention. Les seuls lobbys qui ont saboté la Convention Citoyenne pour des intérêts particuliers sont les industriels.

Djamila Salifou Panga, Schesline Adelphonse, Hugo Palozzi et Aurélien Barbier

Bibliographie

Grossman Emiliano (2005) (réalisation du dossier), « Lobbying et vie politique », Problèmes politiques et sociaux, n° 918, La Documentation française, novembre 2005.
Olsen Leif Thomas (2015 : 138) The Citizen Lobby: From Capacity to Influence. Meson Press, Germany.

Sitographie

Les 150 : l’association des citoyens de la convention climat.

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