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Lutte anti-tabagisme : la Corée du Sud plus efficace que la France ?

 

Le paquet neutre français. http://solidarites-sante.gouv.fr/  | Un paquet de cigarettes sud-coréen. www.mohw.go.kr/

La lutte contre le tabagisme remonte aux années 1950, à l’époque de la publication des premières études anglo-saxonnes démontrant les effets nocifs du tabac sur la santé des consommateurs. Des politiques publiques ont alors été adoptées à différents niveaux, notamment international avec la Convention-Cadre de l’OMS pour la Lutte Anti-Tabac, ratifiée en 2003 par 181 pays dont la France et la Corée du Sud. Comment ces deux pays s’y prennent pour respecter leur engagement dans la lutte contre le tabac ? Les politiques publiques nationales respectives déployées sont-elles efficaces ? La comparaison de la lutte contre le tabagisme en France et en Corée du Sud, deux pays aux cultures et normes sociales très différentes, permettra en outre de faire émerger les différentes raisons de la réussite ou de l’échec des politiques publiques en matière de lutte contre le tabagisme, à commencer par l’importance du rôle des différents acteurs.

Les buralistes français, maitres du jeu ?

En France, les divers groupes d’intérêts impliqués dans la lutte contre le tabagisme ont une influence considérable sur la mise en œuvre des différentes mesures adoptées. La loi Veil de 1976, première loi anti-tabagisme française, est le fruit d’un compromis entre des représentants de la société civile, comme le Comité National Contre le Tabagisme (CNCT) -engagée dans cette lutte depuis 1868-, le corps médical, en particulier l’Académie Nationale de Médecine -qui en 1974 publia un rapport sur les dangers du tabac-, et le Ministère de la Santé. Le tabac construit comme problème public a donc vu le jour grâce à la mobilisation d’acteurs non-gouvernementaux qui ont, grâce à leurs relations et leur expertise, directement poussé l’Etat à se saisir du problème et à trouver des solutions.

Depuis les lois et plans anticancers qui ont suivi la loi Veil, la politique anti-tabagisme en France s’opère uniquement par le biais de changements progressifs et marginaux, de manière incrémentale. Cela s’explique par une forte concurrence entre les différents acteurs, tant au sein de la société civile qu’entre les ministères. Cet affrontement se joue sur le plan médiatique, par médias interposés, et sur le plan juridique, à travers de retentissants procès. D’un côté, le mouvement de lutte anti-tabagisme, porté par des associations et appuyé par le Ministère des Solidarités et de la Santé, défend des intérêts de santé publique et souhaite significativement diminuer le marché du tabac. Face à eux, le Ministère de l’Economie et des Finances revendique des intérêts financiers, de concert avec les buralistes et industriels du tabac qui constituent un groupe de pression avec un impact très important sur les décideurs finaux. Ils arrivent en effet à ralentir la mise en œuvre des politiques de santé publique grâce à une stratégie de lobbying très travaillé.

Afin d’assurer l’avenir de leur profession, les buralistes se posent en victimes directes des politiques de lutte contre le tabagisme et balayent les critiques faites à leur égard en pointant du doigt d’autres problèmes. C’est notamment le cas dans une lettre ouverte publiée en 2015 sur le site des Buralistes.fr où Pascal Montredon, président de la Confédération Nationale des Buralistes de France, a déclaré que « le paquet neutre est une menace pour [leur] métier » car « il va favoriser une explosion des ventes de tabac sur le marché parallèle ». Ils invoquent des conséquences économiques en parlant de pertes de bénéfices et de risques de chômage, mais ils parlent aussi d’impact local car ils présentent leur commerce comme véritable créateur de lien social. Ils avancent également des contre-propositions en mettant l’accent sur la prévention, et ils invoquent les libertés individuelles et le bon sens en disant que fumer est un choix qui relève de la responsabilité de chaque consommateur.

Toutes ces revendications ne sont pas vaines puisqu’elles ont été prises en compte par des représentants politiques, dont le président Emmanuel Macron. Celui-ci s’est exprimé sur la question au micro de la radio RTL lors de sa campagne présidentielle en mars 2017, et a déclaré vouloir mettre en place une véritable politique de prévention anti-tabagisme, contrôler davantage le marché illicite en allant vers une européanisation des politiques antitabac, et enfin accompagner les buralistes vers une transition économique.

Le gouvernement sud-coréen, initiateur des politiques

En Corée du Sud, les politiques sont souvent initiées par le gouvernement lui-même sans qu’il n’y ait au préalable de mobilisations de la société civile. Le fait que la première association anti-tabagisme, Korean Association on Smoking or Health (KASH), ait été fondée en 1988 alors que l’Etat avait déjà mis en œuvre une première politique en 1986 (celle de l’affichage d’une phrase d’alerte sur les paquets de cigarettes) illustre bien cette particularité. Le Ministère de la Santé et de la Solidarité est l’organe gouvernemental le plus actif en matière de la lutte anti-tabagisme.

Au niveau non-gouvernemental, on peut noter l’importance de la KASH dans son travail d’éducation et de prévention et sa pression constante sur l’Etat. Il est intéressant de noter que l’activité de l’organisation a considérablement augmenté sous le gouvernement de Park Geun-hye à partir de 2013, avec le prix des cigarettes qui a presque doublé de 2 500 won (environ 1,90 euros) à 4 500 won (3,50 euros). Néanmoins, en Corée du Sud, les ONG ont assez peu d’impact sur la société civile car il n’existe pas vraiment de débat public et médiatique. Les Coréens lui préfèrent les forums de discussions politiques, présents sur les sites internet de chaque Ministère et prévus à cet effet.

En outre, il n’existe pas de buralistes en Corée du Sud, puisqu’il n’y a pas de bureaux de tabacs. Conséquence, il n’y a pas de groupe d’intérêts à proprement parler qui s’est constitué afin d’organisation l’offensive contre les lois anti-tabac. Néanmoins, les patrons de PC Bang, l’équivalent de nos cyber-cafés, se sont opposés à la politique de désignation de zones non-fumeur dans les lieux publics car leurs principaux clients étaient fumeurs. S’il y a eu beaucoup de plaintes, le remplacement progressif de leur clientèle par des clients non-fumeurs à neutraliser les contestations.

PC Bang | 2017. Photo prise par Cho Yeonwoo

Deux pays, deux approches politiques différentes

Au-delà de la différence concernant l’influence des acteurs sur les politiques publiques antitabagisme en France et en Corée du Sud, il existe également une différence importante dans le type de politiques publiques mises en œuvre. Assez intuitivement, parmi les solutions adoptées par les deux pays, on retrouve des politiques réglementaires comme l’interdiction de fumer dans des lieux publics, de promouvoir le tabac, des réglementations concernant les emballages de cigarettes, etc. Cependant, en Corée du Sud, les administrations régionales jouent également un rôle majeur dans la lutte contre le tabagisme. Elles ont ainsi mis en place un grand nombre de mesures incitatives et dissuasives, telles que des sonneries anti-fumeur au niveau des arrêts de bus ou aux abords d’écoles afin de signaler toute personne qui ne respecterait pas l’interdiction d’y fumer ! Autre mesure phare, l’installation de cabines fumeurs dans la rue pour endiguer le tabagisme passif. Grâce à ce type de mesures, le taux de tabagisme passif a grandement diminué. Plus surprenant encore, des universités ont aussi pris part à la lutte contre le tabagisme, en mettant en place un système de bourses universitaires pour les étudiants qui décideraient d’arrêter de fumer. De la même manière, certaines grandes entreprises accordent une prime aux salariés qui arrêtent de fumer, les réfractaires en revanche, se voient refuser des promotions tant qu’ils fumeront. Inimaginable en France !

Fumoir installé dans la rue. | Photo fournie par l’entreprise Greenbooth

Depuis l’arrivée de nouveaux gouvernements en mai 2017 en France et en Corée du Sud, conduit respectivement par Emmanuel Macron et Moon Jae-In, de nouvelles mesures ont été prises comme la hausse du prix du paquet de cigarettes en France, qui va progressivement passer à 10€. Néanmoins cette mesure n’est pas totalement inédite puisqu’elle avait déjà été inscrite dans le Programme National de Réduction du Tabagisme de Marisol Touraine, sous le Président Hollande. Il en va de même pour la Corée. Même si le gouvernement Park avait augmenté le prix des cigarettes, tout en diminuant le budget alloué à la politique antitabac. Cette restriction budgétaire a été vivement critiquée, puisque le gouvernement avait été accusé d’avoir augmenté le prix du tabac seulement afin de se dégager de plus confortables recettes fiscales et non dans un but de santé public. De plus, cette politique n’a malheureusement pas eu un grand impact, mis à part inciter les candidats à l’élection présidentielle à proposer dans leur programme une diminution du prix du tabac au mois d’avril. C’est le cas de l’actuel président Moon, qui avait également annoncé qu’il offrirait un coupon d’exonération de taxe aux fumeurs âgés ou membres de la classe moyenne afin d’alléger leurs charges. Il reviendra finalement sur ses propos après sa victoire en annonçant qu’il ne diminuerait pas le prix des cigarettes consécutivement aux vives critiques reçues.

La différence fondamentale entre la France et la Corée du Sud semble résider dans la prise en charge collective du problème. En Corée du Sud pour des raisons culturelles, le tabac n’est pas vu comme un problème individuel mais comme un problème de société, dans lequel tous les acteurs, de l’entreprise, aux universités, aux badauds de l’espace public, ont leur mot à dire et leur responsabilité à prendre. L’avenir nous dira si ce type de prise en charge, collectif et social, d’un problème de santé est plus efficace que des politiques plus individuelles préventives ou prohibitives.

Sonnerie anti-fumeurs : « Dites non ! Tabagisme passif ! Osez appuyer sur le bouton ! ». http://blog.naver.com/misskim616

 

Heejung CHO et Laurie ANDRIAMANARIVO

Références

BOUSSAGUET Laurie, JACQUOT Sophie, RAVINET Pauline, Dictionnaire des politiques publiques. 3e édition actualisée et augmentée. Presses de Sciences Po (P.F.N.S.P.), Références, 2010, 776 pages. ISBN : 9782724611755.

HASSENTEUFEL, Patrick, Sociologie politique : l’action publique. Armand Colin, U, 2011, 320 pages. ISBN : 9782200259990.

MOON, Jae-In, 대한민국이 묻는다, 21세기북, 2017, 360 pages. ISBN : 9788950968847

YOUN, Eunbyul, [레이더P 팩트체커] 담뱃값 인하에 대한 文의 입장 변화, MK, 2017. Disponible sur : http://news.mk.co.kr/newsRead.php?year=2017&no=520781

AFP, Contre le tabagisme, le gouvernement promet le paquet à 10 euros, Le Point, 2017. Disponible sur : http://www.lepoint.fr/societe/france-le-paquet-de-cigarettes-porte-progressivement-a-10-euros-philippe-04-07-2017-2140484_23.php#

 

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