La police surveille des pratiquants priant dans la rue en signe de protestation contre la fermeture d’un lieu de culte à Clichy, en banlieue parisienne en 2017. Bertrand Guay/AFP
Fatima Khemilat, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
Lors de ses vœux aux autorités religieuses, le 4 janvier dernier, Emmanuel Macron a fait part de son intention de participer à la « structuration » de l’islam de France face aux défis contemporains que serait la division de la communauté musulmane et la crise internationale qu’elle traverse.
Pourtant, les autorités françaises ne sont pas à leur coup d’essai dans l’organisation de culte musulman sur le territoire français. Avant d’être un enjeu national, la gestion de l’islam a été un enjeu colonial. La conquête par la force du territoire algérien par l’empire français au début du XIXe siècle s’est accompagnée par une tentative, réussie il faut l’admettre, de mettre la main sur l’islam en Algérie où peu à peu il s’est inscrit
« dans une géographie institutionnelle composée de circonscriptions administratives avec ses mosquées officielles, encadrées par ses “fonctionnaires de Dieu” ».
Si la loi du 9 novembre 1905, dite loi de laïcité, sera appliquée à l’Église catholique de part et d’autre de la Méditerranée, le culte musulman, lui, s’en verra exclu. La loi portant séparation des églises et de l’État sera vue comme un potentiel frein à la colonisation et dans ce contexte ne saurait constituer « un article d’exportation ». Les institutions musulmanes resteront de cette façon sous contrôle administratif français jusqu’à l’indépendance de l’Algérie.
Sur le territoire métropolitain, il semble également que la gestion du culte musulman soit un casse-tête pour les autorités. Si jusque dans les années 90, la Grande Mosquée de Paris était l’interlocuteur tout trouvé des autorités publiques lorsqu’il s’agissait de parler du culte musulman, la diversification des associations musulmanes les poussera à élargir le spectre des possibles représentants de l’islam.
Tentatives d’un islam « métropolitain »
C’est à Pierre Joxe, alors membre du gouvernement socialiste, que l’on doit à la fin des années 80, la première tentative métropolitaine d’organiser le culte musulman avec la création du Conseil de Réflexion sur l’Islam de France (CORIF). Si cette instance a le mérite d’être la première instance qui a vocation à structurer le culte musulman, elle sera très vite inopérante car elle n’a jamais vraiment été soutenue par les musulmans de France à cause de son mode de désignation par « nomination et cooptation ».
Le retour relatif au pouvoir de la droite, lors de la cohabitation (1993-1995) gèle quelque peu cette initiative puisqu’elle remet au cœur des relations stato-cultuelles la Grande Mosquée de Paris.
Il faudra attendre une autre cohabitation sous la présidence de Jacques Chirac, favorable cette fois-ci à la gauche, pour que Jean‑Pierre Chevènement relance le processus en lançant l’« ishtichara » à la fin des années 90. Comme son étymologie arabe l’indique, l’ishtichara renvoie à la « consultation » des principales figures musulmanes de France. Ce n’est qu’en 2003 néanmoins que les pourparlers aboutiront avec la création du Conseil français du Culte musulman (CFCM) sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur.
Des relents coloniaux
Par un tour de force – les principales fédérations et personnalités musulmanes débattent tout un week-end au château de Nainville les Roches dont certaines pièces ont été réaménagées pour l’occasion –, l’ancien ministre de l’Intérieur arrache un accord des fédérations : le CFCM est né.
Néanmoins les termes de l’accord ne tarderont pas à faire des remous, notamment l’imposition par Nicolas Sarkozy du Président tout trouvé du CFCM : le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur. Dounia Bouzar, alors une de seules femmes membres du CFCM, ne tardera pas à dénoncer les relents coloniaux à laquelle renvoie cette « nomination » par le haut du président :
« Sarkozy me parlait de Boubakeur comme de mon chef de troupe. “Écoutez votre chef de troupe”, me disait-il. C’était le Concordat revu par la vieille gestion coloniale, sur le mode : les Arabes parlent aux Arabes. »
Bien que certains dossiers concernant l’organisation du culte musulman semblent avoir avancé depuis la création du CFCM (formation et charte des imams, date du ramadan, mise en place de DU pour les aumôniers, etc.), cette institution demeure toujours fortement critiquée.
Des fédérations en concurrence
Il n’est pas un secret pour les spécialistes de l’islam de France que les Fédérations qui constituent le CFCM rivalisent entre elles afin d’être reconnues comme les institutions représentatives légitimes des musulmans de France. La proximité des fédérations musulmanes avec les pays dont sont originaires peu ou proue les musulmans français et leurs parents, renforcent le jeu de concurrence interne : la Grande Mosquée de Paris est proche de l’Algérie, le Rassemblement des musulmans de France et Union des mosquées de France proche du Maroc ou encore l’ex- Union des organisations islamiques de France (UIOF), devenue Musulmans de France, est connue pour sa proximité avec les Frères musulmans.
Au-delà des difficultés à se mettre d’accord entre fédérations, les relations qu’entretiennent les membres du CFCM avec les pays d’origine posent également l’épineuse question de la source et de la nature des financements reçus par ces derniers. Afin de procéder à plus de transparence concernant le financement des projets cultuels (construction d’une mosquée, ouverture d’école musulmane, financement des associations culturelles, etc.), la Fondation des œuvres de l’islam (FOIF) a vu le jour, en 2005 sous l’impulsion de Dominique de Villepin.
Mais une fois encore, en l’absence de compromis possibles entre les Fédérations du CFCM, les fonds disponibles n’ont jamais été dépensés faisant de la FOIF une coquille vide. Il faudra attendra 2015 après les attentats de janvier, pour que l’idée d’une Fondation chargée du financement de projets culturels/cultuels musulmans refassent surface. C’est en 2016 qu’elle sera dotée d’une existence légale et rebaptisée pour l’occasion Fondation pour l’islam de France.
Pour la diriger, François Hollande fait appel à une figure historique de l’organisation du culte musulman, Jean‑Pierre Chevènement. Ceui-ci est placé à la tête de la FIF malgré les contestations que la nomination d’un non-musulman suscite. Ce choix des autorités publiques a été l’occasion de (ré-)interroger la légitimité de l’État dans la désignation des acteurs de l’islam de France.
Des institutions ignorées des musulmans
En 2016, une enquête réalisée par l’Institut Montaigne établit que deux tiers des musulmans de l’hexagone ignorent ainsi jusqu’à l’existence du CFCM, pourtant censé les représenter.
L’auteur de ce rapport est Hakim El Karoui, auteur de Islam, une religion française), personnalité controversée. D’après le Journal du Dimanche il serait l’un des proches conseillers d’Emmanuel Macron dans ce qui semble être un nouveau chantier de l’islam de France dont le nom et les prérogatives restent inconnus et qui existerait en parallèle du CFCM.
Mais quels seraient ses moyens, qui seraient ses membres ? Rien n’est encore sûr, si ce n’est que la question du financement des lieux de culte, de la formation des imams ou encore de l’influence des pays d’origine est, à nouveau, soulevée. Comme ses prédécesseurs, Emmanuel Macron semble vouloir aller vite puisqu’une réforme est prévue ce semestre.
Il sera entouré pour cela de Gérard Darmanin, actuel ministre de l’Action et des Comptes publics, qui avait plaidé pour « un islam français » ou bien encore de Gilles Kepel, expert arabisant, sollicité par plusieurs gouvernements mais ouvertement hostile à la prise en compte d’enjeux pourtant chers aux musulmans de France, comme l’islamophobie.
Malheureusement dans l’organisation du culte musulman français, il semblerait qu’au gré des alternances politiques, chaque gouvernement tente de (re)structurer l’islam de France en utilisant paradoxalement les mêmes recettes et maîtres d’œuvre que son prédécesseur. Presque 30 ans après les premières tentatives d’organiser l’islam, pas sûrs que les musulman·e·s en France se sentent davantage représenté·e·s par cette nouvelle instance que celles qui a ouvert la marche.
Fatima Khemilat, Chargée de cours, doctorante à Sciences Po Aix, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.