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La concertation dans l’action écologique

« Êtes-vous favorable au projet de transfert de l’aéroport de Nantes-Atlantique sur la commune de Notre-Dame-des-Landes ? » Telle était la question à laquelle les  électeurs des communes de Loire-Atlantique ont été invités à répondre par référendum le 26 juin 2016. Ce référendum n’est qu’une des manifestations les plus visibles d’un recours de plus en plus fréquent à la participation citoyenne pour répondre à des enjeux de politiques publiques, notamment sur des questions environnementales. C’est une démarche qu’on appelle concertation.

Ce qu’on entend par concertation

Pour Touzard (2006), la concertation est une discussion où l’orientation coopérative prédomine chez l’ensemble des acteurs. Cette recherche de consensus ne signifie pas absence de divergences dans les opinions, évaluations et préférences techniques ; de plus, les acteurs concernés et réunis peuvent avoir des statuts et des rôles fort différents, donc des intérêts variés par rapport au problème à résoudre qui peuvent conduire à des discussions longues et difficiles. La concertation peut être un processus de prise de décision du bas vers le haut ou du haut vers le bas. C’est dans ce contexte que les processus de pouvoir peuvent parfois être largement contre-productifs.

Pour Mermet (Mermet et al. 2004), le terme de concertation a une définition floue. Pour lui, il faut prendre en compte la multiplicité des contextes auxquels on applique le terme de concertation : du sondage en ligne à une réunion entre le gouvernement et des élus locaux, au référendum. Il existe toutefois deux modèles de base de la concertation : un modèle de forçage dans nombre de concertations, le modèle “Décider, Annoncer, Défendre” où le porteur de projet cherche à imposer une décision déjà prise avant la concertation, et un modèle plus collégial “Concerter, Analyser, Choisir”, avec entre ces deux extrêmes des modèles mixtes.

La concertation est une forme de participation qui se déploie dans les dispositifs organisés par les institutions publiques afin d’impliquer les citoyens, d’une façon plus ou moins contraignante, dans la prise d’une décision publique. C’est ce que Hendrik Wagenaar (2014) appelle « invited participation ». Ce mode d’action publique s’est développé durant les années 1990. Elle est surtout utilisée dans des politiques d’aménagement locales. Désormais, l’élaboration de textes règlementaires nationaux se fait par des mécanismes de participation, ce qui change les logiques de la démocratie représentative. Durant les années 2000, on considère qu’une synergie fondamentale existe entre démocratie participative et action efficace pour l’environnement et que la participation des citoyens garantit une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux.

Aujourd’hui, on reconnaît trois limites à ce principe. Premièrement, dans le cas de projets pouvant entraîner des risques technologiques, il a été montré que les riverains utilisent la concertation pour limiter les ambitions de la prévention des risques au profit de perspectives de développement local et de protection de la valeur de leur patrimoine immobilier (Mermet & Salles, 2001). De plus, les personnes qui participent à une concertation (de quelque type qu’elle soit) ne sont pas représentatives de la population générale. Enfin, l’action publique environnementale implique non seulement le bien-être des citoyens présents qui peuvent participer à la concertation, mais aussi des citoyens futurs. La démocratie au sens de prise en compte des intérêts exprimés des citoyens ne suffit pas (Goux-Baudiment, Heurgon, Landrieu, 2001).

La concertation recouvre des  réalités diverses : débat public, enquête publique, réalisation de plans partenariaux en matière d’eau ou de déchets, commission de dialogue, Grenelle de l’environnement, conférence de consensus, commission locale de discussion entre parties prenantes d’un conflit local, démarche de co-construction de projets urbains, consultation électronique … Et elle est particulièrement difficile lorsqu’il s’agit de projets qui cristallisent des oppositions fortes dont les médias se font écho. C’est le cas des deux projets que nous allons observer ici : celui de l’aéroport Notre Dame des Landes (NDDL) et de laboratoire souterrain à Bure.

Les exemples de Notre Dame des Landes et de Bure

Le projet à NDDL, aujourd’hui abandonné, a un historique long : dès les années 1960, la création d’un nouvel aéroport pour les régions Bretagne et Pays de la Loire était envisagée par la délégation interministérielle à l’aménagement du territoire et à l’attractivité régionale (DATAR) qui avait lancé sa politique des « métropoles d’équilibre ». De nombreux mécanismes de concertation ont été utilisés, parmi lesquels un débat publique en 2002-2003, un référendum local en 2016 ou des rencontres entre les élus et le Premier ministre en janvier 2018.

A Bure, des opposants dénoncent depuis plus de 20 ans le projet Cigeo de laboratoire souterrain qu’ils accusent d’être un préalable à l’enfouissement de déchets radioactifs sur la commune. Après la loi Bataille de 1991 qui imposait la concertation avec les élus et populations concernés avant tout projet d’installation d’un laboratoire souterrain, un rapport de médiation avait tenté en 1993 de faire circuler l’information, ouvrir le dialogue et permettre un choix.

La concertation permet de définir ensemble un projet et de le partager par un plus grand nombre, au bénéfice du territoire et des citoyens. Dans la plupart des cas, la concertation se fixe trois objectifs. Le premier est de faire circuler l’information, autrement dit les représentants de l’Etat informent les acteurs politique, économique, associatif et la population concerné par la mise en œuvre d’une politique publique. Le second objectif est d’ouvrir le dialogue, autrement dit, le gouvernement doit répondre à toutes les offres de dialogue, les représentants du gouvernement doivent se rendre dans les villes ou départements intéressés pour recueillir les attentes, les questionnements des citoyens, ainsi que des élus locaux. Le but est de co-construire un projet politique, en collaborant avec les différents acteurs locaux. Le troisième objectif de la concertation est de permettre un choix, autrement dit, son rôle est de permettre au gouvernement d’arrêter son choix en lui présentant l’ensemble des éléments recueilli par la concertation, par cela, la voix des acteurs non-gouvernementaux comptent, et ils prennent part au projet politique.

Ces objectifs reposent sur trois principes : la responsabilité, la transparence et la démocratie. Le principe de responsabilité signifie qu’il faut chercher des solutions aux problèmes, collectivement. Autrement dit, chaque personne doit être concernée par la mise en place d’une politique publique et ce qu’elle engendre. Par exemple, dans le cas du Laboratoire de Bure, les experts considèrent que des territoires sont appropriés pour accueillir les déchets radioactifs, par cela il faut voir le problème au niveau national et non pas local. Le second principe est celui de la transparence, autrement dit, par la démarche de dialogue et d’ouverture, les acteurs locaux doivent être informés des décisions prises par le gouvernement, ainsi que sur la façon dont elles sont prises, et sur les couts du projet etc. La consultation se base sur un troisième principe : la démocratie. Quand on consulte des élus locaux, on consulte des représentants élus de la population, par conséquent, l’élu local représente un relai entre les citoyens et le gouvernement. La concertation permet un contact direct entre les citoyens et les représentants du gouvernement, si on prend l’exemple des missions de médiation du Laboratoire de Bure et Notre Dames des Landes, les médiateurs, nommés par le gouvernement, ont organisés de nombreuses réunions auprès de la population, et auprès des élus locaux.

La concertation pour légitimer et rationaliser un projet

Depuis plusieurs années, les gouvernants utilisent la concertation, pour légitimer et rationaliser un projet politique. Elle peut se construire sous différentes formes, des débats publics, des consultations locales, des référendums et par des médiateurs. Ces formes diverses de consultation se retrouvent dans le domaine écologique et notamment dans les deux projets évoqués.

A Bure, en 1993, dans le cadre du projet de médiation par Christian Bataille, des réunions, des consultations locales ont été organisées entre le gouvernement, les élus locaux et la population. Le rapport de médiation a débouché sur le choix de quatre sites susceptibles d’accueillir le projet, en fonction des facteurs géologique, économique et le consensus avec les élus et la population. D’autre part, ce projet stipule des recommandations au gouvernement, comme la mise en place d’une mission de suivi, une coordination permanente des services de l’Etat, et le maintien d’une cellule interministérielle, qui examinera les demandes des collectivités territoriales.

A Notre Dames des Landes, le rapport de médiation du 13 décembre 2017 stipule un transfert de Notre Dames des Landes, et un réaménagement de Nantes-Atlantique. Quant au choix du lieu de la construction de l’aéroport, une grande consultation a été organisée en 2002, par la commission nationale du débat public. 16 réunions publiques se sont succédé, et 7500 personnes y ont participées.

Pour autant, les deux projets ne font pas l’unanimité auprès de la population et des élus locaux. Les élus écologistes et les associations de protection de la nature sont défavorables à la mise en place du Laboratoire et de l’aéroport, pour des raisons environnementales. En 2003, les opposants ont estimé que le débat public n’avait pas accordé une place suffisante aux questions environnementales. Par conséquent, on ne peut pas considérer les acteurs locaux, comme un tout homogène, ayant les mêmes opinions et les mêmes points de vue. Ce constat soulève un questionnement : Dans quelle mesure les gouvernants peuvent-ils représenter des acteurs locaux aux avis divergents ? Autrement dit, peut-on représenter une population, ayant des intérêts différents ? Selon Pierre Rosanvallon, dans son ouvrage de 1998, « le peuple introuvable », il est nécessaire de se constituer en groupe, pour saisir des problématiques communes. La consultation a pour but de trouver un consensus, par conséquent, comment trouver un consensus avec des acteurs aux intérêts et opinions différents ?

Par ailleurs, on peut se demander si les acteurs locaux influent à la mise en place ou non du projet.  Autrement dit, les acteurs locaux peuvent-ils faire en sorte que le projet ne soit pas mis en œuvre ? Ils peuvent influencer le lieu de construction du projet, donner leurs opinions, mais la décision final ne leur appartient pas. Par conséquent, la consultation tend à rendre plus légitime et rationnel un projet politique, tout en incluant les acteurs locaux, cependant, la décision final n’appartient pas aux acteurs locaux, mais au gouvernement.

La consultation tend à améliorer, légitimer et rationaliser la mise en place d’une politique publique, pour autant, celle-ci est confrontée à plusieurs difficultés et limites : des acteurs hétérogènes, et des décisions finales qui appartiennent aux gouvernants.

Pour conclure

La concertation se construit sous différentes formes : d’un sondage en ligne à la réunion entre élus et représentants du gouvernement. Pour autant, elle a toujours pour ambition de légitimer, rationaliser une politique publique, aux yeux des citoyens, des élus locaux et des associations. Par conséquent, c’est un concept rattaché au principe de démocratie : on inclut les citoyens dans la mise en œuvre d’une politique publique.

Dans le domaine de l’action écologique, la concertation est largement utilisée car on assiste à une grande opposition des citoyens. Les exemples du Laboratoire de Bure, ainsi que Notre Dames des Landes dressent ce même constat. C’est pourquoi le gouvernement se fixe des objectifs de collaboration, de transmission d’information pour légitimer une politique publique.  Pour autant, on a pu constater des limites à la mise en œuvre de cet instrument : un public pas toujours réceptif, et des décisions finales qui appartiennent au gouvernement.

Une politique publique ne trouve pas seulement sa rationalité par l’instrument de concertation, mais par l’imbrication de plusieurs instruments. Dans le cas de Notre Dames des Landes et du Laboratoire de Bure, l’expérimentation est l’un des instruments fondamentaux de légitimation des projets. Les instruments de rationalisation se complètent, et la mise en place d’une politique publique trouve sa rationalité dans cette imbrication.

Charlotte Barre, Auriane Biron et Ghizlaine Guessous

Références

BOBBIO Luigi, MELE Patrice, « Introduction. Les relations paradoxales entre conflit et participation », Participations, 2015/3 (N° 13), p. 7-33. DOI : 10.3917/parti.013.0007. URL : https://www.cairn.info/revue-participations-2015-3-page-7.htm

CALLON Michel, LASCOUMES Pierre, BARTHE Yannick, 2001, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Le Seuil (collection “La couleur des idées”), 358 pages.

GOUX-BAUDIMENT Fabienne, HEURGON Edith, LANDRIEU Josée (2001), Expertise, débat public : vers une intelligence collective, L’Aube Editions, ISBN 2-87678-667-2, 409 pages.

MERMET Laurent. “La “concertation” : un terme flottant pour un domaine mouvant ?”, Négociations, vol. no 5, no. 1, 2006, pp. 75-79.

MERMET Laurent, SALLES Denis (2015), « Environnement : la concertation apprivoisée, contestée, dépassée ? », De Boeck Supérieur, coll. « Ouvertures sociologiques », ISBN : 9782804191085, 424 pages.

SAVIDAN Patrick, « Démocratie participative et conflit », Revue de métaphysique et de morale, 2008/2 (n° 58), p. 177-189. DOI : 10.3917/rmm.082.0177. URL : https://www.cairn.info/revue-de-metaphysique-et-de-morale-2008-2-page-177.htm

TOUZARD Hubert. “Consultation, concertation, négociation. Une courte note théorique”, Négociations, vol. no 5, no. 1, 2006, pp. 67-74.

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